« C’est l’histoire d’une rencontre entre deux hommes blancs, solitaires, maigrichons et plus tout jeunes, sur une planète qui s’éteignait à toute vitesse.
L’un des deux est un auteur de science-fiction nommé Kilgore Trout. Il n’était rien, à l’époque, et pensait sa vie terminée. Il avait tort. A la suite de cette rencontre, il devint l’un des hommes les plus appréciés et respectés de tous les temps.
L’homme qu’il rencontra était vendeur d’automobiles, un concessionnaire Pontiac nommé Dwayne Hoover. Dwayne Hoover était sur le point de devenir fou. »
Les éditions Gallmeister ont eu une idée qu’elle est bien bonne pour fêter l’arrivée du printemps: rééditer, avec une nouvelle traduction, 2 romans de Kurt Vonnegut (praise him). Le premier sur ma pile étant celui-ci, allons-y pour Le petit déjeuner des champions (mais ne t’inquiète pas, lectrice, lecteur, tu auras incessamment sous peu un retour de lecture du deuxième roman, dont je tairai, par amour du suspense, le titre pour le moment).
Dwayne Hoover est l’heureux propriétaire d’une concession Pontiac (entre autre chose) dans la bourgade américaine de Midland City. Kilgore Trout est un obscur écrivain de science-fiction vivant à New-York, et publié uniquement dans des revues pornographiques. Suite à l’organisation d’une festival d’art à Midland City et à la demande express de Mr. Rosewater, mécène et (unique?) fan de l’œuvre de Kilgore Trout, notre écrivain raté/antipathique/inconnu-et-pourvu-que-ça-dure se retrouve à prendre la route en direction de l’Amérique profonde. Il ne sait pas encore que là-bas, tel une cocotte-minute sous pression, Dwayne Hoover mijote, et l’arrivée de Trout sera le joint qui lâche avant la folie finale.
« – Monsieur le Secrétaire Général, c’est le passé qui me flanque une sainte frousse. »
Si la trame semble simple, n’oublions pas que nous nous glissons dans l’esprit malade du grand Kurt Vonnegut (praise him). Ici point de suspense narratif, nous savons dès le début que cela va mal se terminer pour Dwayne et le rôle qu’y jouera Kilgore. Là où Vonnegut s’amuse, c’est en nous trimballant dans tous les sens pour y arriver. D’aventures loufoques en digressions tordues, Vonnegut commente d’un côté le road-trip de Trout et de l’autre la perdition croissante de Hoover. Et tout y passe, Vonnegut ne se refuse rien et rien ne l’arrête: le racisme aux États-Unis, la pollution, la religion, l’argent, la passion américaine pour les armes et le meurtre entre concitoyens. De manière générale la vitalité avec laquelle les êtres humains s’entretuent et se pourrissent la vie (et celle de la planète).
Les messagers sont Kilgore Trout, personnage qui se veut le plus antipathique et misanthrope possible, pauvre, raté, l’anti rêve américain, et Dwayne Hoover, au contraire symbole de la réussite, marié, père, riche, respecté… mais qui vit également le revers de cette carte postale. Et Vonnegut, en Dieu tout puissant, mène tout ce petit monde et leur entourage au bord du gouffre, pour voir ce qu’il va bien pouvoir se passer.
Le ton presque naïf, léger, et les dessins qui illustrent l’histoire, nous font parfois oublier la violence du propos, qui s’insinue et revient, nous rappelant sans détour la vanité, la stupidité des comportements humains, soulignées par les résumés réguliers des livres de Trout, qui, comme son créateur, n’y va pas avec le dos de la cuillère.
Un autre grand roman de Vonnegut (praise him), incisif et terriblement prenant, à ranger avec joie et solennité aux côtés du Berceau du chat ou d’Abattoir 5.
« – J’ai du mal à savoir si vous êtes sérieux ou pas, dit le conducteur
– Je ne le saurai moi-même que quand je découvrirai si la vie est sérieuse ou pas, dit Trout. Elle est dangereuse, soit, et elle peut faire beaucoup de mal. Ça ne signifie pas forcément qu’elle soit sérieuse, en plus de ça. »
Gallmeister
314 pages
Marcelline