Il y a deux ans, Léa Bordier lançait des interviews sur son vlog Cher Corps. «Quel rapport entretiens-tu avec ton corps?»: suite à cette question, des femmes de tout âge, tout physique, toute ethnie ou bien orientation sexuelle se dévoilent devant sa caméra, délivrant ainsi des témoignages intimes.
Aujourd’hui ce beau projet a permis à plus de soixante-dix personnes de s’exprimer sur l’arborescence très étendue autour de la relation qu’elles ont avec leur enveloppe charnelle. Complexes, tabous, injonctions mais aussi acceptation, fierté et force, autant de sujets abordés avec beaucoup de franchise.
Cher Corps rassemble douze récits choisis parmi les interviews vidéo, chacun illustré par une jeune autrice différente. On y retrouve certaine des talentueuses artistes de la nouvelle vague BD franco-belge, notamment Mirion Malle (La ligue des super féministes, Commando Culotte) Daphné Collignon (Calpurnia ), Marie Boiseau, Cy, Lucile Gomez, Karenzac, Ève Gentilhomme, Sybilline Meynet, Anne-Olivia Messana, Carole Maurel, Mademoiselle Caroline et Mathou.
Douze illustratrices dont les styles graphiques propres et personnels forment pourtant une belle homogénéité entre tous les témoignages, leur rendant hommage tout en respectant leur intimité.
On y lit des histoires de vies qui bousculent les idées reçues par rapport à l’esthétique imposée, mais aussi des mises à nu douloureuses. Notamment celle d’Emma qui raconte sa reconstruction après le viol qu’elle a subi, ses conséquences dont on ne parle pas. Il y a également Sophie qui raconte sa vie après l’attentat au Bataclan et les cicatrices physiques et psychiques qui en ont découlé. Shonah parle de sa maladie, la vestibulodynie, qui rend les rapports sexuels extrêmement douloureux et de l’errance médicale qu’elle a dû affronter avant de pouvoir mettre un nom sur des symptômes réels et handicapants que les médecins prenaient comme des caprices. Marie-Paul, 71 ans, décrit l’évolution de la relation entre son corps de femme à travers plusieurs années, avec un recul et un message positif.
Ce qui ressort de tout cela c’est la force de toutes ces femmes interviewées par Léa Bordier, aussi bien la force dont elles ont fait preuve pour traverser ces épreuves que celle d’en parler face à une caméra.
Ces blessures cachées, invisibles ou bien inscrites sur leurs corps font écho à toutes les lectrices, car personne n’est à l’abri d’une petite phrase qui a engendré des complexes tenaces ou bien du regard des autre sur sois.
D’ailleurs, ces témoignages sont beaux aussi bien par leur dédramatisation prévenante que par la bienfait qu’ils transmettent. Emma a donné la force à plusieurs personnes de s’exprimer suite à un viol, Mathilde rassure sur le fait qu’être grosse n’est pas tabou et Mayalan retrace son vécu de femme noires dans une société normée blanche.
En s’étendant sur deux médias contemporains, la vidéo et la bande-dessinée, Cher Corps touche un public large et permet de faire face avec plus de force aux dictats actuels, mais aussi de découvrir des chemins parcourus et de s’en inspiré. Tout cela afin de vivre mieux avec sois-même et de ne pas répéter les mêmes erreurs avec autrui.
Il s’agit d’une belle lecture qui laisse un sentiment de reconnaissance, aussi bien envers Léa Bordier pour avoir lancé ce projet d’une extrême bienveillance, envers les femmes qui ont témoigné de leurs rapports à leurs corps, que des illustratrices qui ont su en retranscrire les propos avec justesse tout en rajoutant leur sensibilité.
Editions Delcourt
128 pages
Caroline