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Leonardo Padura – Hérétiques

“Être un homme libre c’est plus que vivre dans un lieu où on proclame la liberté. (…) être libre, c’est une bataille qu’il faut livrer tous les jours, contre tous les pouvoirs, contre toutes les peurs.”

Leonardo Padura nous livre un roman d’une grande richesse où Histoire, fiction et réalité sont étroitement entremêlées. Il nous entraîne entre Cuba et Amsterdam pour nous parler des Hommes, de leurs croyances, d’art et, par la même occasion, pour résoudre d’énigmatiques disparitions. L’air de rien, il empreinte toutes les voies possibles, même les plus contradictoires, pour essayer de comprendre ce qui agite le cœur des Hommes, ce qui nourrit le rejet et la haine. Il laisse ainsi les personnages principaux découvrir ce que coûte de vouloir se détacher du dictat des religions et de la société, ce que coûte de choisir son destin plutôt que de le subir.

“le Seigneur m’a donné une Loi, mais aussi une intelligence et la possibilité de choisir”
“Pense moins à Dieu et plus à toi et à ce choix”

Port de La Havane, 1939, Daniel Kaminsky, immigré Juif, ne désespère pas de voir sa famille descendre du bateau en provenance de Pologne.
Amsterdam, XVIIe siècle, Elías nous fait pénétrer dans l’antre de Rembrandt et dans le clair-obscur de son existence. Tiraillé entre sa passion et sa religion, le jeune garçon constate à ses dépends que vocation artistique et foi sont incompatibles ; pas dans la réalité mais dans la croyance des plus fidèles pour qui la pratique de certaines formes d’art est une hérésie. Et l’hérésie est condamnable.
Cuba, XXIe siècle, Mario Conde, ex-flic reconverti en vendeur de livres anciens et amateur de rhum accepte de se détourner de sa petite vie tranquille pour mettre le nez dans les paquets de nœuds qu’il lui a été donné de démêler.

“Conde ne voulait pas sourire mais il ne put s’empêcher de le faire. Une fois de plus, il constatait que l’histoire et la vie étaient un enchevêtrement de fils dont on ne savait jamais où ils se croisaient, ni même où se nouaient certaines fibres pour donner forme aux destins des individus et aux histoires des pays.”

À deux époques différentes, Daniel Kaminsky et Mario Conde nous guident dans l’effervescence des quartiers pauvres et la fausse tranquillité des quartiers bourgeois de la capitale cubaine, à la recherche d’une vérité appartenant au passé et sur les traces d’un tableau de Rembrandt qui a croisé et changé bon nombre d’existences au fil des siècles. L’ancien policier part également à la rencontre de la jeunesse tourmentée et marquée au corps de Cuba qui refuse autant la société corrompue qu’on lui cache que le discours post-révolutionnaire qu’on lui sert. Cette navigation entre les différentes couches de la société cubaine mène les réflexions de Mario Conde bien au-delà de l’enquête. Entre son penchant pour l’autodérision et son goût pour les métaphores, deux questions le taraudent : celle de l’existence de Dieu et celle de la liberté.
Au bout du compte, la trame du roman est moins l’enquête menée par Mario Conde que la quête de la liberté, celle de choisir de penser par soi-même. Comme souvent dans la littérature hispanique, l’écriture est très vivante, ça fourmille de détails, d’agitation, de petites joies et de grands malheurs, de vie… et de personnages hauts en couleur. Hérétiques est un bien plus qu’un polar atypique, c’est une œuvre magistrale, dans le fond comme dans la forme.

“la libertad como herejía”

Hérétiques L. Paduraéd. Métailié, 2014
608 pages
trad. Elena Zayas

Pauline

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Chroniqueuse

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