Tout commence par une salle d’interrogatoire. Une lumière. Crue. Une chaise, un bureau, des dossiers et celui qui décide d’un potentiel avenir. Et au milieu l’exilé N° 214, tiraillé par son envie de mensonges et les ombres de sa famille le poussant à délivrer la vérité de son parcours.
Par amour, il optera pour la vérité devant le regard sévère d’un bourreau fatigué qui aligne les dossiers.
On plonge alors dans un récit fantastique et sensible au trait délicat où l’on suit le long chemin tortueux de N° 214 et de sa sœur qui se voient obligés de fuir leur Petit Pays suite à des pillages, des viols et des massacres dans l’espoir de se rendre au Haut Pays afin d’ entrevoir l’espoir d’une nouvelle vie et de récupérer le précieux sésame : l’asile.
Leur chemin se révélera tortueux et semé de personnages aussi sympathiques qu’effrayants. Ils tomberont sur l’Ogre Capitaliste, sorte d’Oncle Sam bouffi, gérant son entreprise en plein milieu du désert d’une façon des plus douteuses, réduisant en esclavage tout ce qui passe afin de produire intensivement des bébés en plastiques « Made in Petit Pays ».
Nos chers amis seront également contraints de pactiser avec le diable et de donner de l’argent à un Serpent-Passeur, un traître qui pour des soucis d’économies les laissera à la frontière où les attendent des cavaliers sanguinaires qui ne voudront en faire qu’une seule bouchée parce qu’ils sont à présent sur leurs terres.
Malgré les pertes, la douleur et les humiliations ils arriveront au terme de leur voyage, tête baissée, dos voûté avec l’angoisse de ne pas passer l’ultime chemin : demander l’asile et surtout, l’obtenir.
Au terme d’heures interminables de solitude et d’espoir déterminé N°214 est reçu, raconte son passé et se doit de justifier le pourquoi de son errance douloureuse ; son dossier est classé, perdu dans les bibliothèques interminables des demandes. Affaire classée.
Zahus et Hippolyte ont donné à travers cette adaptation – roman graphique adapté de la pièce de théâtre jouée par la troupe des Bonimenteurs en 2008 – une voie singulière teintée de sensibilité et de délicatesse sur le thème de l’immigration. Conte fabuleux et kafkaïen, ce récit poétique pourrait être un Brazil au pays des masques Bantou sous la houlette de Miyazaki. Une œuvre pleine d’images et de monstres fabuleux qui cache dans un conte initiatique un message âpre et désespéré.
N’hésitez donc pas à plonger dans cet univers onirique au graphisme enfantin d’une grande beauté, vous ne le regretterez pas le moins du monde ! Pire, vous en redemanderez car l’enfant qui est en vous parle toujours plus fort.
200 pages
Gwen