L’image fantôme est un recueil de textes écrits par Hervé Guibert en 1981, non comme écrits théoriques mais comme autant de petits récits qui disent la photographie par ses angles, par la multiplicité de ses angles. Image symbolique et fondatrice, cette “image fantôme” qu’il érige en titre de son recueil est une image avortée mais qui tient en joue ce qu’est plus largement l’image photographique. Ainsi, cette figure étonnante car révélée loin du regard habituel, qui est celle de sa mère, ne sera par défaut de pellicule jamais montrée, jamais développée et demeurera, secrète et fortement inscrite dans le geste, comme nulle part ailleurs elle n’aurait pu se fixer. En s’inscrivant dans le temps, les images deviennent une ontologie, chez Guibert plus que chez n’importe qui, dans les frontières poreuses contre lesquelles les sujets photographiés se cognent ou deviennent.
Là où l’œil vise, la photographie devient décalage, une réalité subjective en somme. Ce sont par exemple les groupes d’enfants en marge d’un cortège que Guibert photographie avec plus d’appétence que ce à quoi le regard aurait dû s’attacher, les passagers d’un train abandonnés au sommeil, les photos d’identité qui font bondir l’être dans le temps. Mais s’attacher à ce regard, c’est moins s’attarder sur la focalisation d’un détail que sur l’effet déviateur de la photographie, qui est sa véritable essence. C’est ce dont ce livre d’apparence personnel traite, là où l’intime rejoint l’universel, l’image comme imaginaire :
” [Ce livre] parle de la photo de façon négative, il ne parle que d’images fantômes, d’images qui ne sont pas sorties ou bien d’images latentes, d’images intimes au point d’en être invisibles. Il devient aussi comme une tentative de biographie par la photographie chaque histoire individuelle se double de son histoire photographique, imagée, imaginée. ”
Du bout de sa lorgnette, l’écrivain photographe raconte avec l’innocence désarmante qui est sienne, l’image, intime, familiale, amoureuse, amicale, somme contrastée qui offre une réflexion échantillonnée et profonde sur notre rapport aux images. Guibert confronte les photographies qui ont accompagné sa vie, comme celles qui nous entourent : images paradoxales, impossibles ; photos de famille préfabriquées, enfances figées par la sacro-sainte photo de famille, images érotiques, pornographiques et bien d’autres encore.
Ce texte à lire ou à relire pourrait être daté mais il n’en demeure pas moins fondamental car il arpente les chemin attendus ou détournés du désir à l’exploration du geste photographique, de son regard comme réflecteur agissant de nos êtres. Un grand calme se dégage de cette écriture faite d’images, de dévoilements. Une beauté !
L’image fantôme,
Hervé Guibert,
Editions de Minuit, 1981,
169 p.
Emilie