C’est une histoire qui débute par l’annonce d’un décès. Dont le commencement est engendré par la fin d’une vie. Terry apprend la disparition de sa mère, qu’il n’a pas vue depuis de très, trop longues années. Il saute dans le premier car à destination de ce village qu’il a quitté brusquement et dont il a presque effacé tout souvenir, le village de son enfance habité par de vieux fantômes qui s’y nichent.
Obligé de regarder son passé en face, il se rend compte de tout ce qu’il a abandonné derrière lui, oublié volontairement par tristesse, rancœur et lâcheté. A présent orphelin, sa mère arrachée par la vieillesse et son père parti sans laisser de trace il y a bien longtemps, il se voit alors contraint de replonger tête la première au cœur de cette vie qu’il a fui, quitte à délaisser lui-même les personnes qui lui étaient chères.
Ce roman graphique retrace une errance qui se conjugue aussi bien au passé qu’au présent. C’est un livre nappé d’une ambiance mélancolique, où les aquarelles sont nimbées de brumes et où la narration soulève de nombreux questionnements intimes et laisse éclater des sentiments très poignants en seulement quelques phrases concises et tranchantes. Les planches sont sobres, les cases bien alignées créent une répétition presque mathématique, une sorte de mélodie entêtante faisant écho au vagabondages mémoriel et sensoriel de Terry.
On déterre avec lui de nombreux souvenirs poussiéreux et des secrets inavouables, tout en étant dans une sorte de somnolence littéraire où le fantasmagorique et le réel se mêlent imperceptiblement. Parfois le protagoniste se perd entre son vécu et ce qu’il voit présentement, et les scènes se superposent, créant de magnifiques illustrations très douces et très tristes.
Difficile, voire même impossible, de ne pas être envouté par l’ambiance qui émane de chaque page. Rien qu’en feuilletant ce livre on est comme aspiré par cet univers aux teintes froides et évanescentes qui épousent à la perfection le récit d’une jeunesse dure où les moments de bonheurs ont vite été remplacés par des actes marquants par leur dureté.
Lisa Zordan nous livre un récit délibérément crépusculaire et réussit à parler de traumatismes violents d’une manière audacieuse par sa simplicité. Quand on sait qu’il s’agit là d’un premier ouvrage, on ne peut qu’être admiratif par la justesse de cette histoire douce-amère, aux consonances résolument minérales et brutes.
«Quelque part parmi les hautes herbes, nous errons seuls, tels des enfants, les pieds nus dans les ronces.»
Michel Lagarde
96 pages
Caroline