Un jour, en 1998, deux grands auteurs du neuvième art se sont réunis autour d’une bande-dessinée à la fois sauvage et poétique. Presque vingt ans plus tard, elle trotte encore dans un coin de ma tête, marquante par son message nostalgique et humaniste mais aussi car il s’agit d’un des ouvrages qui a déclenché ma fièvre bédétesque. Cette bande-dessinée, c’est Pyrénée, de Sternis et Loisel. C’est une histoire aux arômes rappelant ceux du célèbre Livre de la Jungle de Rudyard Kipling mais aux paysages montagneux, pyrénéens. C’est une historie d’amitié, d’amour, de quêtes, une histoire naturelle mais aussi une histoire humaine.
Une petite d’homme en tenue d’Eve vaque dans les prés, dort dans les grottes et joue sur les rives des fleuves, sous les yeux protecteurs et amusés d’un vieux corbeau, d’un ours bienveillant et d’un renard malicieux. Sa tignasse rousse dénote avec le vert tendre de l’herbe, son corps imberbe avec ceux des bêtes fauves habitant aux alentours, mais pourtant c’est bel et bien avec eux qu’elle grandit et vit depuis maintenant plusieurs années.
Tout a commencé par un grand incendie qui s’est déclaré dans un village à flanc de montagne, permettant à un ours savant maintenu en captivité dans un cirque de s’échapper. Dans sa fuite, il sauve une minuscule fillette agrippée à son nounours en peluche, unique survivante d’une maison carbonisée. Les saisons passent et la fillette s’est transformée en adolescentes pleine d’interrogations et de revendications, oscillant au coeur d’une dualité toute particulière entre sa conscience humaine et l’environnement primitif où elle évolue.
Pyrénées parle le langage des animaux et ainsi apprend d’eux: Ours lui parle du lien qui transcende les apparences, Renard de l’appel de la nature qui pousse chaque être à suivre son instinct propre et Corbeau lui fera découvrir une part de la civilisation anthropique à travers les souvenirs qu’un ermite a laissé derrière lui.
Loin de l’univers pollué et aseptisé des villes, Pyrénée découvre le cours de l’existence aussi bien sur le plan physique que psychologique. Elle découvre la cruauté des hommes qui se tapie en elle-même, les différences entre son fonctionnement et celui des bêtes qui l’entourent. Nue comme un ver en pleine nature, elle est pourtant on ne peut plus à l’abri, protégée par l’une des plus grande force qu’il existe: l’amour.
A travers une histoire simple, Sternis et Loisel s’interrogent sur notre place sur Terre et sur notre rapport à l’entité qui nous a crée et dont nous faisons tout pour nous en éloigner: la nature. Car Pyrénée incarne l’écartèlement qui se fait de plus en plus ressentir entre notre condition primitive et celle synthétique vers laquelle nous allons: en faisant évoluer leur protagoniste dans un lieux dénué d’humain et en la plaçant face à un cicérone qui a subi le joug et la cruauté de l’hominidé et qui pourtant ne conserve aucune rancune face à cette espèce, Sternis et Loisel nous soumettent l’idée que la plus sauvage des créatures sauvages démontre bien plus de sagesse que nous. Les deux auteurs énoncent en effet que la conscience et l’esprit sont peut-être bien des notions dont l’ubiquité englobe l’ensemble du règne vivant, qu’il se tienne sur ses deux jambes et possède le pouce opposable ou non.
Ici, Loisel laisse de côté le pinceau pour prendre la plume et réaliser le scénario de Pyrénée, laissant place à tout le talent de Sternis et à son trait tout en rondeur et en sensibilité. Les couleurs sont tendres, l’album délicat et l’on dévale aux côté de la jeune et fougueuse enfant à la crinière de feu les pentes herbeuses des chaines montagneuses. C’est un retour au source qui interroge sur là d’où l’on vient et où est-ce que l’on va, une bande-dessinée à différents niveaux de lectures qui parle aussi bien d’une très jolie histoire que du triste impact sur l’environnement, d’un animal qui renie son élément premier, mais aussi d’une petite fille qui parvient à réunir autour d’elle des créatures qui ne se seraient pas allier en d’autres cas.
Accessible aux lecteurs de tout âge, Pyrénée est un album bourré de nostalgie et de paix qui interroge sur la différence entre un être et un autre, sur le passé et l’avenir et sur la philosophie du monde actuel. Aujourd’hui encore, je m’y plonge avec émotion pour retrouver toutes ces sensations simples mais vraies que la bande-dessinée de qualité peut éveiller.
« Hâtez-vous d’ouïr et d’entendre ; car ceci fut, arriva, devint et survint, ô Mieux Aimée, au temps où les bêtes Apprivoisées étaient encore sauvages. Le Chien était sauvage, et le Cheval était sauvage, et la Vache était sauvage, et le Cochon était sauvage — et ils se promenaient par les Chemins Mouillés du Bois Sauvage, tous sauvages et solitairement. »
R.Kipling, Le chat qui s’en va tout seul
Editions Vents d’Ouest
68 pages
Caroline
I have read this graphic novel online in English, and it is a truly wonderful story. My only hope is that the two authors would have a sequel, for the ending implies that they will be more. I think I have read that the second story, which is on hold, will see our innocent protagonist slowly adjusting to human society and the things she will learn.