Les contributions de Lola Lafon à l’hebdo Le 1 sont rassemblées pour la première fois au coeur d’un recueil qu’on ne pourra lâcher avant de l’avoir terminé. Réseaux sociaux, vie confinée, politique, sexisme et inégalités : avec “Le loup, l’épée et les étoiles”, l’auteure trouve dans la concision du verbe la puissance du propos et l’universalité du fond. A lire et relire, et sans doute relire encore.
Elle est écrivaine, chanteuse, compositrice, féministe, libertaire et française, comme nous l’indique le Wiki incontournable de nos chers internets. Au-delà des faits, elle a les mots pour le dire : elle a le don de s’inscrire dans une actualité très référencée qu’elle sait pourtant toujours transcender en universalité ; avec elle, le cerveau se connecte à des chemins bien plus profonds qu’une simple tendance inscrite dans l’ADN de ses parutions dans un hebdomadaire. La preuve : regroupées dans cet ouvrage, ces croquis de la vie courante s’additionnent pour former un tout cohérent, qui dépasse largement la somme de ses parties.
Car Lola Lafon ne se contente pas de décrire : les belles tournures, on sent bien qu’elle les connaît, mais elle sait s’en affranchir, dans un oubli de l’ego, pour aller vers la simplicité la plus excitante du texte. En épurant l’écriture, elle relève le défi de densifier encore davantage les dérives qu’elle dénonce. Preuve en est l’extrait de cette sublime fable qui offre son titre à ce recueil de merveilles.
“Des habitants de l’Arctique piègent les loups en enterrant dans la neige une épée couverte de sang, dont reste visible un morceau de lame. Un loup trouve l’épée, se met à la lécher. Très vite, il se coupe la langue, trop affamé pour se rendre compte, avant de perdre connaissance, que c’est son propre sang qu’il est en train de boire ; il ne tarde évidemment pas à mourir.
Facebook a le mérite de refléter l’état de manque dans lequel nous nous trouvons tous et toutes, affamés que nous sommes, qui déroulons le fil d’actualité sans savoir ce que nous y cherchons, menés par un besoin, mais un besoin de quoi ? On n’a pas le temps d’y réfléchir. Facebook promet la satiété, quand on ne sait pas de quoi on a faim, quand on a perdu jusqu’au souvenir de ce qu’on désire. Etymologiquement, le mot “désir” évoque la nostalgie d’un astre disparu, du latin desiderare, “regretter l’absence de quelqu’un ou quelque chose”; lui-même dérivé de sidus, “étoile”. Aucun algorithme n’a prévu de se mettre à la recherche de nos étoiles égarées, la place est libre, elle est à nous.”
Avec cette collection de textes, Lola Lafon ne nous fait pas seulement passer un moment sympathique : elle nous ouvre les yeux, simplement et en toute efficacité, sur l’état de notre monde actuel. Elle prouve ainsi, si tant est qu’elle avait quoi que ce soit à prouver, sa capacité d’analyse et son pouvoir d’éveil : la brièveté du format sert toujours la profondeur du champ de l’analyse. Eric Fottorino, directeur de l’hebdomadaire Le 1, le dit d’ailleurs avec justesse dans son avant-propos, qui laisse transparaître son admiration pour cette formidable essayiste.
“Est-ce la danseuse ou la musicienne en elle, en sus de l’écrivaine ? Qu’elle parle du viol – par un être aimé -, de la figure bienfaitrice d’Emilie Lamotte, pionnière de la contraception pour les femmes du petit peuple, ou encore des désillusions du monde “d’après”, Lola Lafon écrit juste, d’une écriture accordée à tous les temps de la joie ou de la colère, de l’émotion ou de la lutte. C’est pourquoi, une fois le livre ouvert, on peine à le refermer avant la toute fin.”
Ça se lit partout, ça se lit vite, et ça se lit bien. Pas besoin de pondre un pavé pour en jeter un dans la mare. Quand on sait jouer le double jeu de la simplicité et de la profondeur, c’est qu’on est capable d’offrir un lourd miroir à des lecteurs pas toujours au fait de leur rapport au monde. Merci Lola Lafon de nous éclairer de votre belle lumière via ces billets d’humeur qui savent aborder tous les sujets, aussi délicats soient-ils, entre expériences (parfois traumatisantes) de vie et relation à des sujets plus “mainstream”.
Incisif, implacable, aiguisé, incontournable… Et beau, surtout. Profondément beau.
Editions de L’aube
96 pages
Faustine