Quand on découvre Arithmomania de Lucien Suel paru aux Éditions Dernier Télégramme, on se demande ce qui déclenche une telle créativité entre les mathématiques et l’écriture. Cette anthologie rassemble des poèmes écrits en vers arithmonymes ou arithmogrammatiques. Pour celleux que n’aurait aucune notion de ces termes, un lexique fait office de quatrième de couverture.
Ce qu’il faut d’abord comprendre, c’est que dans les poèmes d’Arithmomania tout est calculé et réfléchi en chiffre. La forme est contrainte volontairement. Mais cette contrainte ne se ressent absolument pas. En effet, cette anthologie laisse apparaître un imaginaire et une écriture poétique d’une incroyable inventivité. Lucien Suel est une figure importante de la poésie contemporaine, il débuta en publiant des revues réunissant des poèmes Beat dans les années 1970.
Arithmomania est une manière de traverser son œuvre. En effet, l’anthologie est composée de textes produits pour des revues ou publiés ici pour la première fois. Lucien Suel y déploie sa maîtrise de la forme, avec des textes plus ou moins longs, dont est noté le procédé à chaque fin de poèmes. On peut également y trouver des calligrammes eux aussi réglés par les lois de l’arithmomanie.
Cela n’empêche pas d’apprécier une poésie gorgée de références et savamment hallucinatoires. Lucien Suel se place dans la lignée des grands mouvements modernes, tels que les Dadas et la Beat génération. Il place même ces précurseurs dans sa Flandre natale, comme Kurt Witter qui est un récit poétique proposé en quatre saisons tout le long du livre.
Mais justement avec le poème Kurt Witter, rédigé à l’origine sous forme de tweet, Lucien Suel plonge les dadas dans un univers cyberpunk. On voit alors ici que le poète ne s’attache pas seulement aux héritages poétiques, mais aussi aux aventures de sciences fictions. Cette poésie n’est pas élitiste et se permet d’être autant attiré par les romans de Jack Vance que par les cut-up de Burroughs.
Ce qui ressort d’Arithmomania est cette écriture capable, malgré la contrainte, des plus grandes hallucinations. Nous ne sommes pas obligés de prendre de substances pour avoir des images délirantes en tête en lisant Lucien Suel puisque sa poésie a des effets surprenants sur nos désirs de planer.
Mais Lucien Suel n’est pas seulement expert en transe cosmique. Il est aussi doué pour une poésie vibrante, qui témoigne de son temps, du monde tel qu’il est, intolérable et atroce. On sent bien que le poète n’a jamais voulu appartenir aux tendances et aux modes éphémères.
Lucien Suel s’est inspiré d’un paysage littéraire très vaste et restitue sa passion en comptant ses vers et ses mots. Il produit sa poésie comme on cultive un jardin, en n’ayant pas peur de mettre les mains dans le fatras imaginatif. Il a toujours choisi ses propres clôtures avec, comme par exemple dans ce livre, les chiffres et leurs possibilités infinis.
224p
Adrien
Grand merci pour cette lecture attentive et attentionnée d’Arithmomania.
Merci à vous ! Cette anthologie est un bon moyen de découvrir votre travail poétique.