Margaret Killjoy, voici un nouveau nom dont vous n’avez probablement jamais entendu parlé. Les amateurs de Black Metal auront peut-être fait le lien avec le groupe féministe et antifasciste Feminazgul, mais dans le milieu littéraire, en France, il s’agit d’une autrice transgenre parfaitement inconnue. Margaret Killjoy écrit depuis 2009 et est l’autrice de cinq romans et de quatre essais sur des thématiques comme l’Anarchie, l’univers Steampunk ou encore sur les post-civilisations. Ce qui petit à petit lui a permit, outre-atlantique, de se faire une réputation et de se faire remarquer par des grands noms tel qu’Alan Moore ou encore Kim Stanley Robinson.
« Un pays de fantômes » est son troisième roman, sortie en 2014 en Amérique du Nord, et est le premier roman que nous découvrons de l’autrice en France grâce aux éditions Argyll, part la superbe traduction de Mathieu Prioux ainsi qu’une préface passionnante, mettant énormément d’empathie et de contexte, de Patrick K Dewdney.
Nous découvrons un morceau de continent, ressemblant un peu à l’Europe, un peu aux États-Unis, bref, un territoire qui nous est familier, ici, deux grandes régions vivent et prospèrent. La Péninsule de Borolie tout à l’ouest, et la Vorronie entre le littoral et les montagnes de Hron à l’est. Ces deux régions nous ressemblent, étant totalement engluées dans le capitalisme libéral, pour survivre, elles doivent prospérer. Toujours faire plus de profit, toujours posséder plus. Mais à l’est, dans les montagnes, Hron, vivent des habitants de villages, inféodés à la cause Borolienne et Vorronienne. Ils sont décrits au mieux comme sauvages, indisciplinés ou dangereux. C’est pourquoi, La Vorronie a lancé une immense campagne d’intégration afin d’étendre son territoire à l’est et surtout pouvoir exploiter les ressources de cette région.
C’est dans ce contexte que nous rencontrons Dimos Horacki, un journaliste en disgrâce de la gazette de Borol, envoyé par son directeur en reportage sur le front, afin de suivre Dolan Wilder, alias le conquérant de la Vorronie. Un reportage sur six mois, entre quarante et cinquante pouces de colonne par semaines, pour rapporter la conquête exemplaire de Dolan Wilder et l’intégration de ses sauvages pour en faire de parfait Vorrolien acquis à la cause de la nation.
Mais une fois sur place, Dimos doit se rendre à l’évidence, il y a un écart entre la narration qu’il doit rapporter et que l’on attend de lui dans la gazette et la réalité. D’une part Dolan Wilder, n’est pas aussi parfait que ce que raconte sa légende, et ensuite passé les barrières des craintes conditionnées par ce que l’on raconte d’eux, les habitants de Hron ne sont pas ce que l’on pourrait attendre d’eux.
Les habitants de Hron sont des Anarchistes. Et un pays de fantômes tourne autour de cette thématique. En fonctionnant par opposition, tout comme a pu le faire Ursula K Le Guin avec les dépossédés. Margaret Killjoy, utilise la fiction et son univers pour développer un exercice de pensés passionnant et érudit, sans jamais nous égarer.
Utilisant la forme du récit de guerre, et par le biais de Dimos, pur produit capitaliste, nous suivons sa découverte, ses questionnements, puis son acceptation d’un mode de vie à l’opposé du sien, favorisant le collectif à l’individualisme, le partage à la possession, le respect de son environnement à l’exploitation, sans jamais tomber dans le cliché ou dans le grotesque. Car tout comme Ursula K Le Guin, Margaret Killjoy maîtrise parfaitement son sujet, a un regard lucide sur ce dernier, et ne tombe jamais dans les travers que la fiction pourrait lui permettre. Ici le propos est ni dévalorisant ni valorisant, il est factuel, sans jamais oublié qu’il s’agit avant tout d’un roman et qu’elle a une histoire à tenir du début à la fin.
Un Pays de fantômes est une réussite, l’autrice signe un roman captivant, prenant et haletant, tout en se permettant de questionner sans cesse notre monde et culture, mais aussi les valeurs que nous souhaitons conserver à celle qui ferait mieux de partir au composte avant qu’il ne soit trop tard.
Un roman palpitant à lire et à relire, une maîtrise stylistique impeccable servi par une écriture alternant entre dialogue fin (et non sans humour) et digression vertigineuse sur notre époque et ce que représente notre civilisation. Une superbe découverte.
Éditions Argyll,
Trad. Mathieu Prioux,
Préface Patrick K Dwedney,
209 pages,
Ted.