L’axe de Cendre est un roman d’images.
Comme ce visage édenté d’un SDF croisé dans une station de métro. Plus rien n’existe d’autre que ce visage, que ce sourire, que cette bouche orpheline.
Comme les nombreuses références au film de Chris Marker, La jetée. Ce n’est certainement pas par hasard si cette œuvre est si présente dans le roman : La jetée est un roman photo filmé, quand L’axe de Cendre est un roman photo à lire.
Et, si souvent décrite, l’image forte du film, celle qui reste bien des années plus tard, après le visionnage du film : l’instant figé d’un homme qui tombe, sous les yeux terrifiés d’une femme impuissante (si marquante, d’ailleurs, que Terry Gilliam en a fait le point de départ – et le point final – de son chef d’œuvre, L’armée des 12 singes)
L’axe de Cendre est un de ces romans dont on cherche longtemps la clé. Alors qu’il est plus important de se laisser faire, de se laisser prendre par la main et se laisser guider parmi les images éblouissantes. La route en vaut la peine.
Ça et là affleurent quelques indices, quelques métaphores assez puissantes, balisant le chemin. Par exemple, les références à Chris Marker. Par exemple, le ruban de Moebius :
« Nous vivons deux vies parallèles qui, en s’étant développés dans des temps différents, semblaient ne jamais devoir se rencontrer. Les images qui nous habitent convergent en permanence, vrillent, se replient pour ne plus former qu’une seule forme, qu’une seule spirale. C’est un vertige dans lequel nous sommes pris où les images se superposent, où les temporalités ne se rejoignent pas. Une seule histoire, un seul texte à deux faces, qui n’en font qu’une. Un ruban de Moebius. »
Ainsi, au fil des pages, prend forme l’intrigue. L’histoire d’une histoire qui n’a pas existé. Se démultiplient les « et si », au fur et à mesure que le narrateur se plonge dans son passé. Sont convoqués les souvenirs de Paul, son meilleur ami parti sur un sentier plus risqué, sont élaborés les possibilités d’une relation avec Cendre, cette jeune fille croisée plus tôt et disparue aussitôt. Et si le narrateur avait suivi une autre voie, qu’en serait-il aujourd’hui ? Où serait Paul ? Qu’aurait vécu Cendre ?
Toutes ces vies parallèles, si proches mais qui jamais ne se sont croisées, sont évoquées par petites touches. C’est délicat et poétique. Le récit est court (72 pages seulement) mais ce qu’il dit est immense. On peut relire ce texte à l’infini, le passer en boucle, croiser les lectures. C’est un labyrinthe à plusieurs époques, c’est une infinité vertigineuse de possibilités. C’est un risque qui vaut le coup d’être pris.
C’est l’occasion d’un coup de projecteur mérité pour cette superbe et élégante maison d’édition. Les éditions MF sont nées à partir de la revue Musica Falsa, consacrée à la musique savante contemporaine. Son catalogue se décline autour de trois grands pôles : musique, donc, littérature (avec ce roman de Marie Gil) et philosophie (avec la parution récente d’un très intéressant projet de Dylan Trigg : The thing, phénoménologie de l’horreur, où se croisent Merleau-Ponty et David Cronenberg, tout un programme).
En parcourant le catalogue, on retrouve quelques bijoux, notamment deux livres de Sa Sainteté Pacôme Thiellement, l’un consacré à Frank Zappa, l’autre à la folle rumeur de la mort de Paul McCartney et de son remplaçant jumeau. Et pour les amoureux de musique contemporaine, il faut se pencher sur les textes de Gérard Grisey, Hugues Dufourt et Kaija Saahario. Bref, un catalogue éclectique et passionnant.
Alexandre
L’axe de Cendre
Marie Gil
éditions MF – 2018