À un jet de pierre de notre époque actuelle, un immense exode planétaire dépouille peu à peu la Terre de ses habitant·es. Quelque part dans le ciel se trouve Belgador, paradis verdoyant et plein de promesses nébuleuses vers lequels des navettes décollent quotidiennement, emportant avec elles des hommes, femmes et enfants simplement chargé·es de leurs souvenirs.
Aux abords du Lacmer, une étendue d’eau salée gagnant chaque jour un peu plus de terrain, Simon s’acharne chaque soir à allumer les lampadaires de sa ville afin de conserver une étincelle de civilisation au cœur de nuits toujours plus incertaines. Lors d’une de ses rondes crépusculaires, il tombe sur un petit garçon échoué sur le rivage sablonneux, seul rescapé d’une traversée dont on devinera les terribles contours aux détours d’allusions glissées, de crises hurlantes l’assaillant et du silence traumatique qui le muselle.
Que faire d’un enfant dans ce monde abandonné des Hommes, n’offrant aucun avenir palpable ?
Épaulé par une poignée de voisin·es et ami·es, Simon va le protéger et l’élever du mieux possible. Épargné par des enclaves inutiles, celui qui sera nommé par la sobre désignation du « petit » tout au long du roman va grandir et s’épanouir, sauvage dans sa simplicité et son naturel dépossédé de toute attente.
“Tu sais petit, quand j’étais enfant, je rêvais de devenir astronome. J’ai recopié tous les cratères de la lune dans un cahier et lu des tas de livres sur les comètes. J’ai tout observé à travers mon télescope. Même le soleil. Pourtant, je n’aimerais voir Belgador pour rien au monde. L’espace, c’est beau de loin.“
Roman dystopique à la beauté fragile, K comme Almanach brille par la poésie fantasque qui s’immisce entre chaque mot, habite chaque personnage et illumine chaque paysage. Dans ce bout du monde humain qui s’effrite, une femme porte tout un immeuble par la force de son corps, colonne vertébrale immobile ayant voué sa vie à soutenir des murs de souvenirs. Une seconde rafle tous les prix des concours possibles et inimaginables, accumulant des lots aussi disparates qu’inutiles. Sans oublier le fervent amateur de jazz aux jambes innombrables, tel un myriapode mélomane. Ensemble, iels forment une famille hétéroclite et chamarrée, chacun·e veillant sur l’autre. Cependant, l’appel de Belgador et le ballet de plus en plus espacé des navettes les poussent à s’arracher de leurs racines pour s’envoler vers un avenir brodé sur du vent.
Au fil de brefs paragraphes chantants, Marie-Jeanne Urech égraine le compte à rebours fatidique de la société humaine qui s’effrite. Au travers de chaque lampadaire que Simon doit céder à l’obscurité et aux plantes grimpantes, c’est l’éclat d’un individu qui se consume au profit de celui d’une lointaine étoile. Par bribe, la civilisation terrienne s’éteint.
Au centre de ce chamboulement où un nouvel écosystème se développe dans toute sa primitivité fauve et végétale et où l’Homme n’a plus sa place, le lampiste s’efforce de conserver une routine réconfortante construite autour de répétitions. Cette impression, même fantasmée, d’avoir l’emprise sur quelque chose aussi insignifiant soit-il, fait écho à l’instinct de survie d’un naufragé, abandonné sur une île flottant dans l’océan de l’univers.
Métaphore d’une humanité qui décline et se meurt ou bien réelle migration radicale, K comme Almanach possède des nuits qui engloutissent pour mieux faire briller les étoiles et des crépuscules aux rougeoiements d’incendie. Ce roman aux allures de sublime atypie littéraire questionne intrinsèquement la notion d’héritage. Où comment peupler un monde trop grand et aux silences trop vastes, comment s’arracher à la Terre et à ses racines pour s’évaporer dans le néant.
“Cette fois-ci, je choisirai la charge que je veux porter.
Tu nous manqueras.
Et de vous, je garderai ce qu’il y a de plus léger.
Des adieux ?
Un souvenir lumineux.“
Éditions Hélice Hélas
120 pages
Caroline