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Marie-Pier Lafontaine – Chienne

Je me suis toujours méfié des formules à l’emporte-pièce qui dit d’un roman « qu’il prend aux tripes » ou « qu’il martèle le crâne de son lecteur si violemment qu’il ne lui laisse plus le temps de respirer ». Pourtant, parfois, ces choses là existent. Parfois, la littérature prend vraiment aux tripes, parfois, elle est si forte et si précise qu’elle fracasse bel et bien le crâne de son lecteur et lui coupe le souffle, le fait suffoquer et trembler lorsqu’il tombe au sol.

Chienne a cette force-là. Chienne fait partie de ces romans qu’on lit le souffle court, le cœur effrayé et l’estomac en chute libre. Chienne est un livre dont on redoute de découvrir la page suivante. Pourtant, on tourne la page. Pourtant, on lit, car Chienne est avant tout un très grand morceau de littérature.

Il faut énormément de talent et de justesse pour raconter une telle histoire – sa propre histoire. La narratrice, enfant, et sa sœur, traitées comme des chiennes – au sens propre – par un père violent et sadique et abject, sous le regard passif et complice d’une mère silencieuse. Chienne comme un conte de Grimm ou de Perrault où le grand méchant loup serait le père, où il n’y aurait ni morale ni porte de secours, et où on s’attacherait à décrire tous les sévices, précisément, froidement, plutôt que les suggérer. Car, dans Chienne, rien n’est épargné. Ni la douleur, ni les pleurs. Tout est sur la page, entre deux haut-le-cœur.

« Parmi toutes les lois du père, il y en avait une d’ordre capital : ne pas raconter. »

Malgré cette loi première qui ouvre le récit, l’autrice témoigne de ce qu’elle a vécu, à proximité de son père, décrit comme un homme-monstre qui se nourrit de la peur de ses propres filles. Pour rester dans l’imagerie du conte, Marie-Pier Lafontaine le nomme plusieurs fois « l’homme-ogre ».

Le sujet est incroyablement dur et dérangeant. Ces cent pages présentent des sévices, des humiliations, des actes de cruauté et de barbarie. Pourtant, il émane de ce texte quelque chose de beau et de puissant. Comme le récit d’une rescapée qui a vécu l’enfer. Et si le lecteur parvient à tourner les pages malgré l’horreur, c’est que le roman est porté par une écriture magnifique. Âpre et précise. Économe et claire. Car l’écriture est une arme. Elle est un moyen de tuer ce père-ogre, d’en finir avec lui. Pour cela, il faut que l’écriture soit la plus juste possible.

Sans fioriture, les phrases font quelques mots pour aller droit au but. Comme recevoir un coup, ou en donner. Rares sont les chapitres plus longs qu’une page. On ne s’épanche pas, on écrit et on frappe. Cela donne, au premier coup d’œil, un texte aéré, avec beaucoup de blancs sur la page.

« J’aurais voulu écrire un roman sur mon enfance, avec des pages et des pages remplies d’écriture. Sans espaces blancs, sans pauses ni silences. Que l’on comprenne bien tout le vacarme que fait faire la peur de mourir à un cœur. »

Mais justement, ce sont ces pages blanches et silencieuses qui produisent le vacarme le plus assourdissant. Ce sont ces mots rares qui hantent le lecteur. Et qui donnent à ce récit et à son autrice une force dévastatrice capable de tout renverser.

Alexandre

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Marie-Pier Lafontaine

Le Nouvel Attila

106 pages – 2020

Première édition au Québec : éditions Héliotrope – 2019

À propos Alexandre

Chroniqueur

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