Pour se rendre compte de l’importance de Silence d’exils, il faut aller voir la fin d’Exploration du flux paru en 2018 au Seuil où le vide laissé dans les dernières pages du livre de Marina Skalova vient se poser comme un écho à l’expérience racontée dans ce nouvel ouvrage.
Silence d’exils est bien plus qu’une restitution d’ateliers. C’est l’histoire de femmes et d’hommes mêlé à celle de l’autrice. Ce livre est un objet hybride entre témoignages, récit poétique, travaux visuels et réflexions sur l’exil.
Avec la photographe Nadège Abadie, Marina Skalova a proposé à des migrant-e.s des ateliers d’écriture et de photographie entre 2016 et 2019. Ce magnifique livre paru aux éditions d’en bas retranscrit toute l’humanité qui a transpiré de ce travail. L’écrivaine et la photographe y restituent la juste considération des personnes migrantes. Ce n’est ni de l’apitoiement, ni de la bienveillance de façade. On le comprend quand elle raconte ses doutes et parfois son dégoût face à la récupération politique.
L’autrice a aussi connu l’expérience de l’exil, partie enfant de sa Russie natale pour l’Allemagne. C’est en tant qu’écrivaine qu’elle interroge la langue, barrière beaucoup plus forte que la frontière. Lorsqu’elle donne à lire le travail des participantes et participants à l’atelier, elle laisse les fautes, montrant que même ce qui est soi-disant mal dit, dit quelque chose d’important. Les photographies de Nadège Abadie montrent l’indicible, la vétusté des lieux mais aussi les sourires qui persistent sur les visages.
En lisant ce livre et en regardant les photographies, on réalise la nécessité du respect que l’on doit avoir vis-à-vis des femmes et des hommes venant se réfugier en Europe. Il n’existe pas un profil type du migrant. Chaque vie est singulière et demande de l’attention. Le problème ne vient pas de ces populations migrantes mais des états occidentaux qui ne savent pas ou refusent carrément d’accueillir. Parmi les histoires qu’on lit dans ce livre, beaucoup témoignent de l’inaction délibérée des pouvoirs politiques.
Cette expérience poétique, politique et humaine est indispensable. Elle vient se placer contre la déplorable politique migratoire de l’Europe. Plus il y aura d’expériences de ce type et de livres pour en témoigner, plus notre effort de considération se fera sereinement. Il ne faut pas croire qu’avec un avis bienveillant sur la cause des migrant-e.s, on ne doit pas interroger notre capacité à agir. L’effort est toujours à faire pour ne pas laisser le silence s’abattre sur le besoin d’humanité.
(image d’en tête : photographie de Nadège Abadie tirée du livre)
168 pages
Adrien