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Le salon magenta - Mario de Carvalho

Mário de Carvalho – Le salon magenta

Que reste-t-il quand la fête est finie ? Quelques débris ça et là. La fin d’une époque.

Ces morceaux épars d’une vie désormais lointaine, souvenirs recomposés et entêtants, Gustavo se plaît à les ranimer, avec une volupté retorse. Blessé suite à une agression, il se voit contraint de loger chez sa sœur, et passe le temps de sa convalescence à arpenter, désenchanté, les méandres de sa mémoire. Un salon magenta, un petit pistolet posé en évidence sur le bureau de l’entrée…

Gustavo retourna à ses souvenirs lancinants qui, le devinant désarmé et seul avec lui-même, se remirent à le hanter et à prendre le pas sur tout le reste.

Plusieurs sujets le préoccupent au premier rang desquels sa carrière de réalisateur. Il passe en revue ses succès, ses quelques œuvres, longs et courts métrages, s’interrogeant sur ce qu’il est forcé de considérer maintenant comme une demi-réussite. Il évoque le milieu du cinéma, futile et superficiel. Les amitiés de façade, les éloges intéressés, sa propre fatuité.

Car Gustavo n’est pas avare de constatations amères quant à son attitude. Notamment à l’égard de sa sœur Marta, chez qui il se réfugie, en dernier recours, presque faute de mieux. Il faut dire qu’il la juge, Marta. Il ne peut s’empêcher de la considérer avec condescendance tout en se le reprochant la minute qui suit :

Il ne savait pas au nom de quoi et pourquoi il persistait, à son âge, à juger sur les apparences, à laisser libre cours à ses gestes, à parler trop, à vouloir tirer des effets inutiles d’une attitude de m’as-tu-vu.

Il voit sa sœur, l’une des principales figures féminines du roman, comme une femme volontairement naïve. Une victime consentante des autres, de lui-même, et surtout de son propre fils Claudio, menteur et profiteur patenté, de qui elle semble accepter les mensonges avec une candeur forcément suspecte aux yeux de Gustavo. Il est partagé entre le respect dû à cette figure maternelle, aimante, courageuse et résiliente et son mépris profond pour la petite vie bourgeoise et sans surprise qu’elle mène. Il en résulte un gouffre béant dans la fratrie, une impossibilité de communiquer qu’il sait être de son fait, sans pouvoir y remédier.

Et quand il ne ressasse pas son incapacité à réprimer ses mouvements d’humeur à l’encontre de sa sœur, il convoque ses anciennes amours, qu’il a eu nombreuses. Liaisons frivoles et vides de sens d’un homme facile et facilement lassé.

C’est pourtant le fantôme d’une femme, Maria-Alfreda, l’insaisissable, qui le hante par-dessus tout. D’elle on ne saura pas grand-chose, si ce n’est sa propension à l’évanescence, au mystère et à une indépendance farouche.

Avec un entêtement qui confine au masochisme, il se plaît à raviver les brûlures d’une passion qui a duré quelques années et l’a laissé seul et amer :

Nus, ils buvaient, lentement, jusqu’à pas d’heure, détendus après l’amour, mais il y avait toujours un moment où s’emmêlaient des nœuds, des aspérités, des blocages dans la transmission de leurs opinions et de leurs sentiments, comme dans les combats douteux, matchs nuls où les adversaires, à genoux, sans plus de forces, attaquent encore mollement, sans s’avouer vaincus.

Impossible amour, fait d’incompréhension et de lutte, de désir et de jalousie, le souvenir de sa liaison avec Maria-Alfreda l’obsède, de même que la présence du petit pistolet dans l’entrée.

Une liaison passionnelle, une arme pointée du doigt dès le début du roman tel un fusil de Tchekhov, les ingrédients sont là pour mener à une tragédie faite d’amour et de sang.

Il n’en est pourtant rien. Gustavo est un anti-héros absolu, qui n’a finalement fait que sombrer dans la plus triviale médiocrité. Même sa grande passion n’a finalement d’extraordinaire que le temps et l’énergie qu’elle lui aura coûté et qu’elle lui coûte encore, alors qu’il refuse de lâcher prise :

C’était une façon d’être : les amertumes de l’existence ne s’imprégnaient pas en lui, elles glissaient dans une réserve cachée où elles sécrétaient un volume et un poids qui l’entrainaient lentement vers le fond.

 La plume est gracieuse, précise et précieuse, qui dépeint le cadre magnifique de l’Alentejo, théâtre du vague à l’âme de Gustavo :

Demain tout cela serait une magnificence de vert et de brun vif, un ouragan de tonalités et de formes, avec, par-ci, par-là, des pirouettes d’une jolie couleur, mais en ce moment, c’était une brumeuse énigme, prometteuse de néant, et non moins séduisante pour autant.

Dans une langue traînante, à la fois méditative et tortueuse, Mário de Carvalho dépeint les blessures intérieures d’un homme, ses difficultés à communiquer avec les autres, la complexité des rapports intimes, qu’ils soient familiaux ou amoureux.

Mais plus largement, c’est une époque faite d’excès et d’absurdités qu’il met en scène avec une belle lucidité et une astucieuse ironie. Il pointe très justement le banal de l’après, quand la vanité s’étiole et que les yeux s’ouvrent grands sur la réalité, quand il n’y a plus qu’un constat à faire : Acta est fabula.

 Le salon magenta est un roman à la fois sensible et raffiné mais aussi délicieusement ironique. Saluons, pour finir, la qualité de la traduction de Marie-Hélène Piwnik qui rend à merveille la prose délicate et la justesse dans le portrait des rapports humains. Une justesse qui rappelle celle de Moravia en son temps.

 

Mário de Carvalho – Le salon magenta

Éditions les Allusifs

Traduit du portugais par Marie-Hélène Piwnik

192 pages.

 

 

Hédia

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Chroniqueuse

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