Ecrit sous pseudonyme, envoyé par des amis après son décès, Mars est l’unique roman de Fritz Zorn. Entre l’autobiographie et le récit lancinant d’une dépression éduquée, il déroule trente-deux années d’une vie indolore. Trente-deux années s’achevant grâce à un cancer salutaire, qui lui permettra d’extérioriser son mal-être. Et d’effectuer une dissection prématurée de son existence.
Survivrai-je à cette maladie? Aujourd’hui je n’en sais rien. Au cas où j’en mourrais, on pourra dire de moi que j’ai été éduqué à mort.
Zurich, années 50, dans une famille de la haute bourgeoisie, Zorn est élevé – ou plutôt éduqué – à devenir un parfait hôte. Celui qui ne contredit jamais ses invités, qui cherche à plaire et à éviter toute anicroche. Une attitude qu’on se doit de conserver en toute circonstance. Ainsi, quand son père émet un avis, toute la famille acquiesce. Si le lendemain, l’avis est différent, chacun s’y confortera sans objection. Une attitude qui va devenir la personnalité de Zorn. Peu enclin aux amitiés enfantines, il se complait à s’intéresser aux « choses élevées », comme disent ses parents.
Il va, sans difficultés mais sans intérêt, réussir sa scolarité et s’orienter par mimétisme vers un cursus universitaire littéraire. Il arrive à faire illusion auprès de ses camarades, ne refusant jamais un café et étant prêt à écouter chacun. Toutefois, les choses charnelles ayant été tabou dans son enfance, il ne s’intéresse pas aux femmes, attendant mollement un chaste coup de foudre de cinéma. Bon élève, il terminera ses études docteur, le sujet de sa thèse l’ayant pas le moins du monde passionné. La solitude et l’absence de ressenti restent constant dans sa vie, et il s’en accommode très bien, n’ayant jamais connu autre chose.
L’annonce de son cancer comble Zorn : enfin son mal-être intérieur se résout à se manifester physiquement. Grâce à son traitement, il découvre de légères modifications de ses ressentis et en vient à reconsidérer sa vie. Il prend conscience d’avoir vécu comme dans un scaphandre, coupé du monde extérieur. S’il juge sévèrement l’éducation qu’il a reçu, il n’accuse jamais ses parents, ces derniers ayant eux aussi subi celle-ci.
Ce n’est pas très joli, toute sa vie durant, de ne faire que vomir son passé non digéré ; mais ne pas pouvoir vomir ce passé est encore pire. La sensation misérable qui précède le vomissement est toujours plus désagréable que le vomissement lui-même.
Au fil des pages, malgré une écriture toujours très polie, Zorn entame un chemin vers un avis personnel. Il analyse froidement l’héritage des bourgeois trop emprunts de savoir-vivre et de bienséance. Grinçant, il livre une réflexion personnelle sur ce que peut être une vie réussie, une vie vécue. Loin de s’apitoyer sur son sort, il fait l’apologie de tout ce qu’il n’a pas connu. Sexualité, énergie, passions, emportements, chamboulements. Un texte qui amène chacun à questionner l’origine des modes de vies qu’il cautionne et pratique. Une lente introspection à la fois lancinante et bouillonnante.
Editions Anne Carrière,
540 pages,
traduction de Gilberte Lambrichs,
Aurore
Quelqu’un pourrait-il m’expliquer le titre?
Je me suis toujours posé la question du titre. Peut-être la planète Mars, planète de la guerre, en écho à sa dernière phrase : “je suis en état de guerre totale”.
Mars, c’est la planète rouge. c’est aussi le Dieu de la guerre. Zorn (la colère, en allemand) s’en explique dans le bouquin.