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Max Aub – Manuscrit Corbeau

« Je crois que je n’ai pas le droit de taire ce que j’ai vu pour écrire ce que j’imagine »
Max Aub – journal, 22 janvier 1945

Le camp du Vernet en Ariège fut très certainement un des camps les plus répressif de la France durant la seconde guerre mondiale. Il servi initialement à interner les soldats de l’armée républicaine espagnole en pleine « retirada ». le camp portait déjà le titre de « camp de concentration » et lors de la déclaration de guerre de l’Allemagne en 1939, il devint un camp où emprisonner tous les « indésirables étrangers ». Enfin viendront les résistants, puis les juifs en transit vers leurs déportations vers le camps d’extermination.
Max Aub sera interné dans ce camp puis celui de Djelfa en Afrique du Nord, c’est ce que nous apprend le traducteur, Guillaume Contré, dans son excellente et indispensable postface. Donnant une saveur et un contexte si particulier à ce « Manuscrit Corbeau ».

Le corbeau, auteur de ce manuscrit, a étudié l’Homme dans le camp du Vernet, Après une introduction du corbeau en tant que chercheur, puis de sa méthodologie d’étude, l’auteur du manuscrit aborde en cinquante six points l’étude complète de notre espèce à travers un panel d’homme détenu dans le camp. Tout y passe, la présentation du lieu, le contexte, notre langage, nos coutumes, nos habitudes, nos croyances, nos maladies, notre nourriture, notre santé, l’oubli, la liberté et même la poésie. Nous avons à faire à un travail minutieux de l’anthropologue corvidé.

«  Les gardes, qui sont français, développent une curieuse activité nommée épargne, qui consiste à garder de l’argent pour la vieillesse. Cet exercic entraîne un manque de camaraderie et de solidarité, l’avenir étant assuré. »

A travers le regard tendre et faussement impartial du Corbeau nous nous retrouvons tour à tour touché, attendri ou bien agacé par l’Homme. Par ce bipède forcément inférieur au corvidé étant donné que l’Homme ne vole pas.

Mais c’est aussi un constat, implicite, glaçant, d’une époque que la France n’évoque que trop peu dans ses livres d’Histoire, comme un devoir de mémoire que la république française se refuse. Max Aub, par le truchement de corbeau, pousse le lecteur à la réflexion sur le contexte de l’analyse, les camps, sur la rudesse des lieux et sur ce qu’être interné représente.

Max Aub aura été interné deux fois avant de migrer au Mexique. Un auteur qui vécu la difficulté et la déshumanisation des camps. Sans jamais tomber dans le pathos, et souvent faisant passer des messages avec beaucoup de finesse et un humour plutôt grinçant, Max Aub arrive à dresser une sorte d’état des lieux de cet environnement terriblement dégradant, devenant petit à petit un mouroir à ciel ouvert.

Passé le contexte, Manuscrit Corbeau, est drôle, intelligent, espiègle et souvent déconcertant d’analyse de l’absurde. Le narrateur, le corbeau, souvent nous amuse de notre espèce et met en avant ce qui est normal pour nous, mais qui peut paraître totalement absurde pour d’autres espèces, comme les bouts de papiers ( billets de banque).

Un jeu littéraire, un assemblage de petites chroniques, un tout d’une incroyable cohérence. Le manuscrit corbeau est autant une satire, qu’une analyse quasi anthropologique d’un camp ou encore un hommage aux internés. C’est fin, intelligent et drôle.

«  L’enfermement améliore la condition humaine. Pour qu’ils atteignent l’excellence, on les emprisonne un certain temps. »

Héros-Limite Éditions,
trad. Guillaume Contré,
126 pages,

Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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