Paru en 2015 en Uruguay, L’autre femme est le premier roman de Mercedes Rosente traduit en français. C’est par ailleurs le premier volet de la trilogie d’Úrsula. Son titre original, Mujer equivocada, désigne à la fois une femme qui commet une erreur et une femme confondue avec une autre …
Cette autre femme c’est Úrsula. Elle est un peu solitaire, un peu râleuse et délicieusement cynique. Traductrice touchée par la procrastination, elle est, à ses heures perdues, figurante dans le public d’un show télévisé des plus racoleurs. De plus, Úrsula se laisse volontiers aller à des tendances voyeuristes. A se débattre depuis l’enfance avec des problèmes de poids, elle trouve une certaine évasion à scruter et imaginer la vie des autres.
Je suis attirée par les facettes que les gens ne montrent pas. J’aime les regarder quand ils ne me voient pas. Les voir agir sans qu’ils se sentent observés. Les voir quand ils ne font pas semblant, quand ils ne savent pas qu’on les observe.
Alors qu’elle entame un nouveau régime (bouillon de légumes) aussi rébarbatif qu’inefficace, elle est contactée par l’homme qui a enlevé son mari, et qui lui réclame une rançon. Sans hésiter, Úrsula passe à l’action et se lance courageusement dans l’aventure. Elle omettra bien entendu de signaler qu’elle n’est pas l’épouse en question mais son homonyme. Elle jouera le rôle à la perfection et parviendra même à tirer avantage de la situation.
Dans ce roman noir, dont l’intrigue est tissée de quiproquos, Úrsula est une protagoniste qui se démarque par bien des aspects. Pourtant, il me semble que l’autrice ne galvaude pas pour autant les codes du genre. Souvent en proie aux addictions, le héros de roman noir dissimule généralement une grande part d’ombre. Úrsula n’a rien à lui envier, elle qui est accro aux nourritures grasses et ne peut s’empêcher de se mêler de tout ce qui ne la regarde pas.
Par ailleurs, comme tout roman noir, L’autre femme dénonce et critique une réalité sociale. Cette femme qui est « autre », obèse ici, est mise à l’écart sans raison, à cause de son poids.
Être grosse, ce n’est pas juste être grosse, ce n’est pas être en surpoids et avoir du mal à grimper les escaliers, ce n’est pas la taille qui disparaît ni le double menton, ce n’est même pas la santé en danger, c’est l’humiliation permanente, la colère dissimulée, ce sentiment selon lequel il n’y a pas de pitié et encore moins de justice pour qui est différent.
A bien des égards, ce roman dénonce aussi, en filigrane, une société de faux semblants et de tromperie. La sœur d’Úrsula en est d’ailleurs la parfaite représentation. Cette bourgeoise en pleine partie de jeu de dupe, se trouve rongée d’ennui derrière l’apparence luxueuse du bonheur.
Construit de façon astucieuse, entre suspense, mise en scène de l’absurde et humour noir, L’autre femme enchante et surprend jusqu’au dénouement.
Paru chez Quidam éditeur le 3 mars 2022 dans la collection les âmes noires.
Titre original : Mujer equivocada,
traduit de l’espagnol (Uruguay) par Marianne Millon.
238 pages
amélie