Retour sur un héros du genre pas déconstruit, assez démoli même, et qui en revanche défonce tant que faire se peut avec The Dark Knight Returns. Cette édition cartonnée, intégrale et soignée, publiée en février 2013 par Urban Comics, est la cinquième depuis la sortie française initiale de 1987, la troisième en intégrale, et la seconde chez cet éditeur. Elle regroupe les quatre livres (respectivement intitulés Retour, Triomphe, Traque et Défaite) d’une série qui marqua le retour de Batman sur la scène suite à la réinvention du Multivers DC (DC Univers Rebirth) mise en œuvre avec la saga Crisis on Infinite Earths à l’occasion des cinquante ans de la maison.
Elle pose les bases du Batman moderne, tel que nous le connaissons aujourd’hui, débarrassé des oripeaux kitsch, colorés et drôles de la série qui l’ont relancé une première fois. Le changement est radical puisque c’est un Batman sombre, aigri, affaibli que nous retrouvons. Un Batman quinquagénaire qui, ne parvenant pas à échapper au souvenir de ce qu’il a vécu et été, se retrouve à combattre successivement ou dans le même temps le récent gang des Mutants, Harvey Dent ou encore le Joker (ainsi qu’un alter-héros que je vous laisse découvrir), qui saisissent également l’occasion de faire leur come-back.
Un Batman, enfin et surtout, plus radical, désabusé, torturé et moins manichéen que jamais, à l’image de la société dans laquelle il vit et pour laquelle/qu’il combat. Une duplicité illustrée par les interventions télévisées de ses contemporains — citoyens et membres de gang décérébrés à l’image de leur président, soi-disant spécialistes et gens du spectacle — qui interrompent le fil de la narration et de ses actions. Un Dark Knight dont les origines et la personnalité riches et complexes ouvrent la voie à de nombreux prolongements et adaptations.
Nous retrouvons ainsi tous les éléments qui, depuis, ont été dilués ou développés dans les comics orchestrés les années suivantes par Miller lui-même avec David Mazzucchelli dans Batman : Année Un, puis par Alan Moore et Brian Bolland dans Rire et mourir, et plus récemment dans la trilogie de Christopher Nolan. Enfin, en toile de fond, la menace d’un conflit nucléaire entre l’URSS et les États-Unis pose la question de la place des héros — supers ou pas — sur l’échiquier géopolitique et crée une atmosphère oppressante, deux ingrédients sur lesquels reposent également le Watchmen de Moore, Gibbons et Higgins, sorti la même année.
Cette édition, qui forme un album magnifique aux accents et au dénouement qualifiés à juste titre de wagnériens, comprend également une préface de Frank Miller, scénariste et dessinateur, datant de 1996 et, en guise de postface, un portfolio d’une quarantaine de pages présentant la proposition originale du Dark Knight par l’auteur ainsi que des textes, croquis, esquisses, photographies de figurines, qui mettent en avant son œuvre ainsi que le travail d’encrage de Klaus Janson et celui de la coloriste Lynn Varley mise à l’honneur dans cet album tout en couleur.
Un album incontournable dans l’histoire des comics, de DC et du chevalier noir, que les lectures de L’Asile d’Arkham de Grant Morrison et Dave McKean comme du Batman Curse of the White Knight de Sean Murphy, dont nous parlait plus récemment Teddy, viendront parfaitement compléter en interrogeant la personnalité et l’éthique discutable d’un des personnages les plus ambivalents du Multivers.
« Ironie du sort, aujourd’hui marque également le dixième anniversaire de la dernière apparition publique de Batman, décédé ou en retraite, on ignore ce qu’il est devenu. Nos téléspectateurs les moins âgés ne se souviennent probablement pas de Batman. Un sondage récent indique que la plupart des lycéens le prennent pour une légende. Mais il a bel et bien existé. Aujourd’hui encore, la controverse concernant la légitimité de sa guerre contre le crime se poursuit. »
Editions Urban Comics
28 février 2013
240 pages
Eric