L’an passé (feu 2016), Les éditions du Sous-Sol démarraient un travail de rééditions en partenariat avec Le Boréal (maison d’éditions québecoise) afin de remettre en avant un auteur phare mais peu connu de la littérature canadienne en hexagone. Solomon Gursky fut un coup de poing magistral, donnant toute la mesure d’un auteur incroyable. Une publication incontournable, un livre qu’il faut absolument lire. Un an après, voici venu la seconde réédition des œuvres de Mordecai Richler. Nous retrouvons Jérémy Schneider pour l’illustration de la couverture, qui avait déjà réalisé celle de Solomon Gursky. Après le corbeau, place au renard.
L’apprentissage de Duddy Kravitz est le quatrième roman de l’auteur, publié en 1959, écrit pendant son séjour en Angleterre, ce roman va le révéler au monde entier. Une reconnaissance telle que son roman sera adapté au cinéma, et une adaptation pour le théâtre sera publiée en 1974.
Duddy Kravitz c’est qui? Il nous apparaît comme le petit teigneux de la bande, la terreur des professeurs. Fils d’un chauffeur de taxi, de confession juive et vivant dans la communauté hébraïque de Montréal, le jeune Duddy est sans doute le mal aimé et incompris de sa bande. Mais très vite, nous apprenons que ce jeune garçon n’a qu’une seule ambition, une seule envie qui l’anime jour après jour : être un homme, un vrai ! Son grand-père lui à toujours dit qu’un homme ne possédant pas de terre n’était personne.
Le temps passe, l’obsession persiste… et lors d’un été, le jeune Duddy en compagnie d’Yvette, amoureuse de ce dernier, découvre les terres du Laurentides. Ce sera la révélation pour notre héro ! Acheter ces terres et construire un complexe hôtelier sera sa quête.
C’est le début des aventures du Jeune Duddy pour trouver l’argent qui va lui permettre d’aboutir à son but ultime. Serveur dans un hôtel de luxe, producteur dans une société d’audiovisuelle en compagnie d’un réalisateur américain expatrié et accessoirement taxé de sympathisant communiste, qui se propose de filmer vos Bar-mitsvas, anniversaires ou encore mariages. Puis non content de ne pas gagner assez vite ou bien, il se retrouve à faire du trafic de drogue à la frontière américano-canadienne…
Nous pourrions parler de récit initiatique, mais c’est surtout le récit de l’entêtement. Le jeune Duddy, bien que sans talent particulier, est animé par une envie et mettra tout en œuvre pour y arriver, coute que coute. Quitte à perdre du monde autour de lui. Se construire en tant qu’homme va devenir se construire un empire.
La finesse d’écriture de Richler, la justesse dans l’à propos dans le choix des mots, ainsi que le remarquable travail de traduction de Lori Saint-Martin & Paul Gagné force le respect. Écrit dans les années cinquante, mais d’une modernité incroyable, ce roman ne se lit pas mais se dévore. Un univers riche, haut en couleur, débordant de générosité et d’humour. Une communauté examinée sous tous ses angles avec autant de tendresse que de critique envers cette dernière. Des personnages débordant d’humanité, touchant pour certains, agaçant pour d’autres, il y a du vrai, du vécu, dans ce qu’écrit Mordecai Richler.
La comparaison avec un John Irving parait facile, Philip Roth également, mais pour le sens de la démesure et de la finesse d’écriture de l’auteur je ne peux m’empêcher de le rapprocher d’un Saul Bellow ou d’un Stanley Elkin. Un second coup de cœur, et une furieuse envie d’être à l’année prochaine pour découvrir le troisième Mordecai Richler à être réédité. Bravo les éditions du Sous-Sol !
Les éditions du sous-sol
trad. Lori Saint-Martin & Paul Gagné
415 pages
Ted