Un roman à la démesure folle, qui se veut être la petite histoire qui a fait la grande histoire du Nord canadien et du Grand Nord. Une histoire dense, osant l’alternance de points de vue, baladant le lecteur d’un regard à un autre, d’une époque à une autre, d’une vision à une autre, mais un enchevêtrement créant une mécanique narrative implacable et une apothéose digne du « Courtier en Tabac » de Barth ou « L’arc en ciel de la gravité » de Pynchon. L’ombre de Solomon règne, bienvenue dans la famille Gursky et l’histoire du Canada.
« Un beau matin – c’était durant la vague de froid
sans précédent de 1851 -, un gros oiseau noir et menaçant, tel qu’on n’en avait encore jamais vu, apparut au-dessus du pauvre village industriel de Magog, multipliant les descentes en piqué. Luther Hollis l’abattit d’un coup de Springfield. Puis les hommes virent une meute de douze chiens surgir en jappant du vent et des neiges tourbillonnantes du lac Memphrémagog, gelé en cette saison. Les bêtes tiraient un long traîneau, lourdement chargé, à l’avant duquel se tenait Ephraïm Gursky, petit homme féroce et encapuchonné dont le fouet retentissait sans cesse. »
Qui était Solomon Gursky, cet homme tant décrié par son frère Bernard et quasiment jamais cité par son autre frère. Pourquoi autant de hargne et d’admiration à la fois. Pourquoi Moses, fils du fameux écrivain, L.B Berger, sera-t-il obsédé toute sa vie durant par ce fameux Solomon ?
Comment la famille Gurksy a-t-elle fait, en partant des bas fonds londoniens, pour devenir une des familles les plus importantes du Canada quelques générations plus tard. Une galerie de personnages vont entrer en jeu et jouer une partition tantôt cacophonique, tantôt belle et mélodique, mais à tout moment Solomon Gursky, du moins son ombre, va progresser vers vous, vous obséder comme elle a pu obséder Moses, et vous plonger dans cet univers incroyable.
Mordecai Richler, pourrait être le cousin germain de toute cette vague U.S d’auteurs de métafiction, de romans pluralistes ou encore postmodernistes. Un pavé dense, d’une richesse impressionnante, la comparaison avec John Barth ou Pynchon s’impose tant le talent déborde de chaque page. Une œuvre qui offre un voyage picaresque, un polar ou encore un roman d’aventures, avec pour toile de fond l’histoire du Nord à travers l’histoire de la famille Gursky, de nombreuses recherches furent entreprises par l’auteur pour encrer au mieux ses personnages dans notre réalité, en se basant entre autres sur l’expédition de Franklin et la tragédie du passage du Nord-Ouest. Un livre titanesque bouillonnant de références, d’intelligences, de malice et de divertissement.
« Pauvre Franklin.
En 1845, quelques jours à peine avant de partir pour la mer polaire en quête du passage du Nord-Ouest, l’ancien officier de la bataille de Trafalgar, âgé de cinquante-neuf ans, eut la prémonition du tombeau de glace qui l’attendait. Pendant qu’il faisait la sieste sur un canapé, Lady Franklin, dans l’intention de le garder au chaud, drapa ses jambes de l’enseigne britannique qu’elle brodait. Franklin bondit sur ses pieds. “Vous m’avez couvert d’un drapeau ! Ignorez-vous que ce sont les cadavres qu’on enveloppe de l’Union Jack ?” »
Une qualité d’écriture, de narration et un respect du rythme parfait, un roman qui renoue le public français avec le démesurément génial Mordecai Richler, car Solomon Gursky est la première publication des œuvres principales de l’auteur aux éditions du Sous-Sol.
Editions du Sous-Sol,
Trad. Lori Saint-Martin & Paul Gagné,
636 pages,
Ted.