Conte populaire de la culture sud-américaine, Blancaflore a vu sa légende traverser les époques par la tradition orale, manié par les différentes langues du continent. Princesse Maya fille d’un demi-dieu seigneur de la forêt, elle devient détentrice de puissants pouvoirs magiques hérités de son père. Ce dernier, monstre cruel et despotique, décide de piéger un prince pas très futé pour en faire son repas et récupérer son royaume par la même occasion. Pour arriver à ses fins, il a fomenté un plan fourbe pour gagner sa confiance et l’exposer au Tournoi des Trois Ogres dont personne n’est jamais ressorti vivant.
Sûr de lui et un poil benêt, le jouvenceau va accepter le défi sans même réfléchir et sans s’interroger une seule seconde sur la facilité avec laquelle il enchaîne les succès sans jamais avoir à fournir le moindre effort.
Si sa chance extraordinaire est le fruit d’un enchantement lancé par le croque-mitaine pour l’attirer entre ses griffes, le mérite de ses victoires lors de la compétition revient entièrement à Blancaflor.
Alors qu’elle a hérité des puissants pouvoirs de son père, la jeune ogresse n’en possède pas le caractère cruel et sanguin. Au contraire, elle fait preuve d’intelligence et de finesse, deux traits d’esprit qui vont l’aider à sauver le prince dont elle est tombée amoureuse du terrible sort qui l’attend : finir en rôti.
Fille d’Art Spiegelmann (l’auteur du formidable roman graphique Maus), Nadja Spiegelmann signe une adaptation moderne et féministe de ce conte populaire mettant en avant la débrouillardise et le courage de son héroïne.
Ce sont en effet les figures féminines qui tiennent la barque, qu’elles soient du côté des « méchant·es » ou des « gentil·les » : sans Blancaflore, le prince se serait fait croquer dès le début, et c’est sa mère sorcière qui tempère son mari volcanique et assène une malédiction finale qui pourrait être fatale. Quant aux hommes, on trouve donc un ogre à la cruauté dominatrice et un dauphin naïf aveuglé par sa chance (d’ailleurs, on pourrait même retrouver dans ces deux personnages les personnifications d’un patriarcat toxique et d’une noblesse assistée).
Comme toute fable, l’histoire contient une morale en filigrane poussant à se questionner, à prendre conscience de certains préjugés encore trop souvent véhiculés par les récits jeunesses mettant en scène princes et princesses. Il faut dire que dans le folklore d’Amérique latine, l’empowerment au féminin ne date pas d’hier et il n’est pas rare d’y croiser des femmes puissantes et ingénieuses.
En plus de son propos finement amené, cette BD est forte du trait expressif de Sergio García Sánchez, qui s’affranchit des codes habituels du genre et des limites des cases pour nous offrir une lecture dynamique à la fois belle et captivante.
Jouant avec des arcs narratifs classiques tels que la magie et les contes romantiques, Blancaflor est une bande dessinée moderne au rythme palpitant à mettre entre toutes les mains.
Éditions Rue de Sèvres
48 pages
Caroline