C’est l’histoire d’un triptyque nébuleux, d’un étrange assemblage de corps et d’esprits. Une tribu en mosaïque éclatée, fruit d’un amour dévorant et du hasard.
Il y a Mina, une agente d’entretien habituée à passer inaperçue, plongée dans l’anonymat des gens que l’on croise sans voir. Yann, un homme dont on connaît peu de choses mise à part l’amour sans limites qu’il éprouve pour Elvire. Elle, c’est une violoncelliste, une virtuose de l’archet qui porte un regard perçant sur le monde et les êtres qui y grouillent. Elle s’en amuse, les numérote et les tord, les essore parfois pour observer ce qui en découle.
Ces deux-là s’aiment donc avec passion, si fort qu’ils ne savent pas comment gérer la distance provoquée par des répétitions au sein d’un orchestre réputé, qui conduit la musicienne à Rouen pendant quelque temps. Mais avant ce départ, ils accostent Mina à un café avec une assurance presque bestiale, que brusquerie insolite intrigue et séduit. Elle a pour mission de veiller sur Yann pendant l’absence d’Elvire, car on ne sait pas jusqu’où le manque d’elle peut l’entrainer.
Au cœur d’une maison bourgeoise vide, sous l’œil perçant des cathédrales ou dans l’ambiance moite des bars, leur histoire va se tisser : sanglante et symphonique.
“Quand la journée de répétition s’achève, elle se questionne sur cette capacité là. Elle ne tiendra peut-être pas longtemps dans ce bataillon. Des gens réunis par une même passion, ça la dégoûte. Comme s’ils allaient plonger dans un grand bain, avec tout d’eux qui se mélange, les gestes, les regards, les respirations, et une sueur commune. Leur vie allait être identique, devait l’être. Se ressembler, se rassembler, c’est tout ce qu’elle déteste.”
Nathalie Yot joue une partition en clair-obscur où les phrases courtes et incisives dressent une musicalité au rythme saisissante. Elle effleure les personnages, juste ce qu’il faut pour en percevoir la complexité trouble. Elle capte l’aura opaque des êtres fissurés, ceux qui nagent à contre-courant avec fracas, ceux qui se laissent couler dans l’invisibilité des marges.
Entre Mina, Elvire et Yann, une étrange relation fusionnelle naît de l’incongru et croît en dehors des lignes. Attirance, haine et les désaccords se percutent en une symphonie sauvage et organique. Un tabou en fond sonore fait office aussi bien d’archet que d’aiguillon : il caresse et pique, dévore les corps et les esprits. L’autrice parvient à écrire le silence d’une cacophonie et saisit l’équilibre du tumulte. C’est ainsi que les opposés deviennent complémentaires dans ce roman. En effet, les membres de ce triangle à la curieuse osmose sont issus de différentes cultures et milieux sociaux, et leurs personnalités à contretemps pourraient bien causer leur déroute.
Tribu est l’histoire de corps qui s’expriment mieux que les mots, de bouches qui mordent et crient, de mains qui frappent et soignent. C’est la survie de l’amour et de la chair, des souvenirs cousus à même la peau.
“Une petite rage monte. Je m’étonne de sa rapidité à éclore. Petite mais rapide. Un départ de feu qui rêve de grandes flammes. Je me dis que je ferais mieux de trouver une solution sans incendie.
Ma mère m’a appris. À modérer mes excès, taire mes contrariétés, m’emporter raisonnablement. Maintenant je sais. Le feu reste enfermé. La rage toujours petite. Une rage sage, sans intérêt.”
Éditions la Contre Allée
176 pages
Caroline
Très fine analyse de mon texte. Je vous remercie infiniment. Je suis très touchée. Votre écriture est fluide et belle. Je reviendrai vous lire. Merci encore.
Merci beaucoup pour ce retour qui me touche beaucoup !
Caroline