Roman de l’évasion davantage que récit de voyage, Nikolski porte le nom d’un endroit où aucun des trois personnages principaux ne va jamais. Ce qui donne son nom au roman de Nicolas Dickner, c’est un petit village perdu au fin fond de l’Alaska, décrit comme un endroit où vivent davantage de moutons que d’humains. Nikolski est surtout le point sur la carte que pointe sans cesse le compas-boussole du narrateur sans nom du roman, unique cadeau du père qu’il n’a pas connu.
Ce père est certainement Jonas Doucet. C’est certainement, aussi, le père de Noah, autre personnage principal du roman, qui sillonne, avec sa mère, tout le Canada avec un camping car. Lassé, voulant enfin s’arrêter de migrer, Noah s’installe à Montréal et deviendra archéologue (un archéologue d’un genre spécial, puisque son domaine d’étude sera les déchets humains). Noah et le narrateur, demi-frères sans le savoir, se croiseront et se recroiseront sans se reconnaître dans les rues de Montréal et dans la librairie d’occasion que tient le narrateur et où Noah viendra comme client.
Autre cliente de cette librairie, et autre descendante de la famille Doucet (ou Doucette, selon les orthographes), Joyce s’installe également à Montréal, fascinée par les histories de pirates que lui racontent sans arrêt son grand-père depuis sa naissance. Fascinée au point qu’elle veut également faire partie du destin familiale. A défaut d’océans à parcourir et de mers à arpenter, elle s’occupera du piratage informatique, à une époque où les ordinateurs sont encore un bien d’exception (le roman se déroule durant toute la fabuleuse décennie 1990).
Trois personnages, trois destins, et trois parcours mais un seul point d’encrage, Montréal, malgré les envies d’ailleurs des uns et des autres. Évidemment, il y aura quelques décrochages au Venezuela, quelques envies d’Antilles, mais l’essentiel du roman se déroule à Montréal, comme un point d’appui indispensable pour garder son équilibre. Les trois personnages chancèlent, attirés par des rêves de conquête et hantés par des histoires de pirates, mais aucun ne tombent réellement.
Le roman est une ronde, ou une valse, ou une danse où l’on change de partenaires à chaque mesure. Le narrateur, Joyce et Noah appartiennent à la même famille, mais ils l’ignorent, et l’ignoreront toujours. La force du roman est de ne jamais tomber dans la facilité des retrouvailles. On se croise, simplement, parce que la vie est l’agrégat de plusieurs destins, sans forcément que l’un ou l’autre s’épouse. Cette fragmentation des vies, les unes à côté des autres, est une réussite.
On pourrait également s’arrêter sur ces multiples détails qui apportent une singularité étonnante au roman et qui le rendent aussi délicieux et réconfortant qu’une tasse de café par grand froid : il y a ce livre sans couverture, mystérieux, que l’on se refile bien involontairement de main en main, il y a cette obsession du fils à envoyer une carte postale à sa mère qui ne cesse jamais de changer de point de chute, il y a la pluie, il y a les poissons…
Le tout servi par une écriture délicate et souvent précise (les trois premiers chapitres présentant les trois personnages est un modèle du genre) qui a permis à l’auteur de glaner le prix des Libraires au Québec à sa sortie en 2006.
Par les temps qui courent, cette évasion est une bouffée d’air bienvenue.
Alexandre
Nikolski
Nicolas Dickner
256 pages
Libretto – 2015
Première édition française : Denoël – 2007
Première édition québécoise : Alto – 2005
Un roman lu il y a des années… 10 ans peut-être. Et ce roman m’a donné envie de continuer à lire l’auteur. Ce que j’ai fait! J’ai beaucoup aimé Six degrés de liberté.