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Nikos Kazantzaki- La Liberté ou la Mort

La Crête, mère qui a tant souffert et pleuré le destin de ses enfants au long des guerres et des révoltes qui ont fait couler le sang en son sein. Cette île rocailleuse aux parfums de basilic et de citron, si généreuse et si animale, dont la force et la détermination coulent le long des veines de ses héritiers. Ce pays où est né Nikos Kazantzaki et dont il parle avec cette humanité, cet amour et cette détresse qui fait les chefs-d’oeuvres.
La Liberté ou la Mort! Voilà la devise qu’il a choisie pour intituler ce roman, adage cher aux grecs et aux crétois et qui leur a servi de cri de ralliement durant les révolutions du IX ème siècle, définissant totalement la fierté et la passion sans demie-mesure qui anime ces peuples. La Liberté ou la Mort, le combat pour la paix, le sacrifice pour la délivrance par des hommes-fauves qui placent leur pays avant leurs propres vies.

Les éditions Cambourakis continuent dans leur magistrales rééditions des classiques de la littérature grecque avec ce magnifique roman historique qui retrace une époque dure et pleine de détresse et de tensions: celle de l’occupation ottomane. A travers des personnages fictifs et d’autres qui ont réellement existé, Nikos Kazantzaki nous fait plonger une fois de plus dans le quotidien de ce peuple si particulier et modelé de contradictions.
Le Capétan Michel, héros de cette épopée, règne sur un quartier de Candie. Surnommé Capétan Sanglier à cause de son visage toujours sombre et de son caractère taciturne et têtu, il est issu d’une longue et célèbre lignée d’hommes dont les exploits militaires ont marqués l’Histoire. Chevauchant sa jument fidèle et farouche, il erre sur les remparts et rôde sous les sculptures vénitiennes, passant au pied du platane où tant de chrétiens ont été pendus. Le sang et l’impartialité de ses ancêtres coulent au plus profond de sa chair et il souffre avec son peuple de la soumission de sa nation et de sa ville par les turcs.
Candie à l’heure turque: mélange des saveurs orientales et crétoises, narguilés et viande saignante, parfum de musc qui ne masque pas la sueur sauvage des hommes. Cette cohabitation forcée cache un volcan qui ne dort pas et que le moindre tremblement peut éveiller. Dans le quartier oriental vit Nouri Bey, riche turc qui possèdent deux trésors inestimables: son cheval racé et sa femme Eminée, la cartésienne dont la beauté est réputée dans toute la ville bien que personne n’ai jamais pu savourer son minois.
Le Bey et le Capitan Michel ont mélangés leurs sangs, signant un pacte lourd de sens. Une haine héréditaire, intellectuelle et religieuse les oppose: ils s’aiment et se haïssent à la fois et incarnent à eux seuls leurs deux peuples: musulmans et chrétiens,  suavité orientale et farouche Crête cohabitent tant bien que mal au sein de cette métropole qui porte encore les séquelles des anciens combats.

“Même sa mauvaise odeur, ma foi, elle me plaît! Quand j’entre par les portes du Lazaret et que je sens le crottin de nos mulets crétois, mon coeur se gonfle de plaisir… Cette odeur de Candie, moi, je ne la donnerais pas pour tous les parfums du monde. (…)” Il respira profondément, appliqua les paumes de ses mains sur ses oreilles et dans l’air, brusquement, fusa sa voix directe, claire, pleine d’amour et de supplication. Par sa douceur et sa force, elle dépassait en beauté toutes les cloches de Mourtzouflos. Elle piquait droit vers le soleil, le bec haut, déchirant le ciel, appelant Dieu et tout à coup, elle retombait sur Candie, comme une alouette. Il semblait qu’elle avait bu Dieu tout entier et qu’elle en était ivre.”

Fierté, mémoire, passion et amour de la vie, coutumes, sang et feu forment un ballet ardent où dansent une multitudes de personnages. Chacun a son histoire et aucune n’est insignifiante. Nikos Kazantzaki écrit leurs destinées avec cette adoration mélancolique qui vibre à chaque mot; celle de cette vieille femme qui n’a plus rien et qui a accepté que son fils soit fusillé devant ses yeux afin d’épargner l’evzone qu’elle protégeait, car celui-ci avait une mère quelque part, et qu’elle connait la douleur d’une mère. Celui de ce combattant centenaire, ce pilier vivant qui a décidé d’apprendre l’alphabet à la fin de sa vie pour pouvoir peindre sur toutes les portes de son village et même jusqu’au clocher de l’église: La Liberté ou la Mort! Ce gamin sauvage qui a mit le feu au quartier juif, incendié le domicile du rabbin puis pris de remords l’a sauvé des flammes. Et enveloppant tout cela, la rocaille, le trottinement des ânes, le bruit de la mer, la chanson de la lyra, les mamelons roses des îles et l’odeur de la camomille et du laurier.

Les femmes jouent un rôle en arrière-plan, suivant une trame ancienne et heureusement désuète à présent, qui peut choquer de nos jours: jeunes ou vieilles, mégères ou éprises, soeurs ou épouses, elle tiennent souvent la place de la femme au foyer qui se plie à l’autorité masculine. Cependant elles ne sont pas soumises pour autant, faites du même bois que les hommes elles tiennent tête et participent à la révolution, ne cèdent pas même quand leur maison est pillée et quand elles subissent les pires atrocités de la part des ennemis.
Seules quelques unes jouent un rôle vraiment mis en avant dans ce roman, dont Eminée qui est celle qui dicte sa loi selon ses envie au sein du couple, qui choisi ses amants et qui sera par ailleurs l’une des sources du conflit opposant Le Bey au capétan Michel. Cette vision de la femme laisse entrevoir une certaine peur de l’homme vis-à-vis d’elle, une incompréhension presque mystique ainsi qu’une admiration qui fait écho à l’amour que les crétois portent à leur île, souvent comparée à une amante ou à une mère.

Paysans, capétans, instituteurs, hommes d’église, femmes et enfants, tous portent au fond d’eux la même passion viscérale. C’est ce cri que porte et transmet Kazantzaki, ralliant sa voix à toutes les autres. C’est un cri d’amour et de désespoir que l’on entend en lisant ce fabuleux livre, qui parle des actes démesurés et héroïques d’Hommes qui sont à la fois des fauves et des Saints.
A travers ce cheminement historique on retrouve les interrogations qui ont accompagnées l’auteur toute sa vie durant: la condition de l’Homme, sa qualité propre, le mystère de Dieu et l’âme de la Crête toute entière retranscrite en un livre.

Il s’agit d’une éloge tumultueuse qui vient des tripes, un roman historique qui place définitivement Nikos Kazantzaki au rang des écrivains qui m’ont le plus marquée et dont la lecture me bouleverse au plus profond du coeur .

“Oui, oui, on m’a enterré vivant. Pas moi, la Crête. C’est la Crête qui crie. Mais elle n’a pas de bouche, c’est moi qui suis sa bouche. Incrédule comme tu es, tu vas dire que je crie en vain et que personne ne m’entend! Et bien, moi je te répondrai: une voix n’est jamais perdue, ils entendront. Avant l’oreille, il y avait la voix. A force de crier et de de crier, l’oreille est née.”

 

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Editions Cambourakis
608 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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Un commentaire

  1. Bonjour
    Oui pour tout mais pourquoi la liberté ET la mort dans la nouvelle édition ?
    Merci

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