Lorsqu’il reçoit sa lettre d’admission à l’université, Noé Alvarez sait qu’il détient enfin le précieux sésame qui lui permettra d’inverser la cadence. Il va enfin se sortir d’un quotidien ponctué par la privation et la pauvreté, défini malgré lui par son statut d’enfant d’immigré·es ouvrier·ères. Marqué par les récits de son père qui a connu la famine et par le corps fatigué de sa mère, usé par le travail ingrat à l’usine, il voit dans les études l’opportunité de faire ses preuves et de soulager sa famille. Mais il est rapidement rattrapé par l’incompréhension des codes de ce nouvel environnement.
Alors il court, à travers les champs, en bordure de chemin, comme il l’a toujours fait depuis enfant. La course comme échappatoire, comme moyen de se vider la tête et de réfléchir à son avenir et à ses racines, prend un tout nouveau sens lorsqu’il découvre l’existence des Peace and Dignity Journeys.
” Dans la petite ville canadienne de Smithers, Zyanya Lonewolf, 19 ans, descendante des ethnies gitxsan et dakelh, démissionne de son boulot dans les cuisines du McDo et abandonne son rôle de cheffe de famille au sein d’un foyer tourmenté : père incarcéré, mère toxicomane, cousine assassinée le long de la route des larmes. Contre la volonté de sa mère, elle retire ses maigres économies au distributeur, s’achète un sac à dos et quitte tout ce qu’elle a toujours connu pour rejoindre une caravane de coureurs indigènes.
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Dans l’État de Sonora, au Mexique, deux frères de l’ethnie yoreme — Mazat, alias « El que correindo, mata » (« celui qui court, conquiert »), et son ainé Greñas — quittent pour leur famille et interrompent leurs études pour gagner la frontière américaine en quelques jours d’auto-stop. Ils partent pour accomplir leur devoir vis-à-vis des anciens : se livrer à la course et embrasser la vie du guerrier — celui qui se dévoue à la protection à la préservation de la terre, des animaux et de la culture de son peuple. ”
Tous les quatre ans, un marathon traverse l’Amérique du Nord, du Canada au Panama. Les participant·es couvrant ces milliers de kilomètres séparant les deux extrémités du continent sont toutes et tous indigènes. Pendant les six mois de leur aventure, ils et elles vont à la rencontre de communautés qui les accueillent et leur partagent leurs coutumes, afin de renouer avec leurs traditions en célébrant la spiritualité et la richesse de la Terre. Touché par ce projet de reconnexion à la nature et aux rites autochtones visant à rendre hommage à leurs racines et à en visibiliser les descendant·es, Noé Alvarez décide de rejoindre le petit groupe. Ses pas l’emmènent alors à travers des sols sacrés chargés d’Histoire, et ce qui a toujours été une fuite en avant se transforme en quête initiatique.
Simultanément, il éprouve son corps et son esprit, interrogeant et repoussant ses limites. Le rythme de ses foulées et de son cœur traverse des forêts millénaires, résonne au creux du désert et bat le macadam des villes. Les PDJ l’incitent à explorer son rapport au monde aux côtés d’une poignée d’hommes et de femmes, luttant avec des passés douloureux et contre l’oubli des cultures primitives dévorées par le capitalisme.
Lors de cette longue prière courue, Noé Alvarez arpente ses conflits intérieurs faisant échos à d’autres combats, historiques ou sociaux, s’étendant tout autour de lui.
Au cœur du petit groupe même, il apprend la complémentarité et la tolérance et ressort de cette expérience grandi et fier de ses origines.
À ses côtés, nous explorons des paysages sauvages, échappant encore à l’emprise de l’Homme. Même si l’effort le terrasse, sa réflexion reste souple et sa plume se nourrie de ces souvenirs, dans le souhait de partager au plus grand nombre l’expérience incroyable qu’il a vécu. Le livre se dévore, nous laisse alerte et sur le qui vive, nous questionne sur notre place et le poids de nos actions. Il tient en haleine, creuse et sonde.
Autobiographie rétrospective de sa course sacrée, 10 000 km est un récit d’exploration physique et mentale, où les douleurs des membres et la privation entrent en résonance avec l’asservissement des peuples, tandis que l’esprit rejoint un chœur ancestral.
” Je me retrouve face avec ce qui m’a défini tout au long de ma vie : la frontière américo-mexicaine. C’est la limite absolue de mon monde, cette frontière qui me coupe en deux, entre celui que je suis aux États-Unis et ce que mes parents étaient au Mexique.
[…]
Je n’avais jamais réfléchi à ce qu’étaient le bon et le mauvais sens pour courir. Et là, alors qu’il me faut rassembler tout mon courage pour poursuivre, alors que la course compte plus que jamais car elle va me mener sur la terre de mes parents, quelque chose enfle en moi et me fait hésiter : est-ce que j’ai vraiment couru tout ce temps dans la mauvaise direction. “
Marchialy
Traduit de l’anglais par Charles Bonnot
300 pages
Caroline