Le Per se quitte le port pour ce qui sera sans doute son dernier voyage. Quasiment sûrs d’être licenciés, sans doute avant leur retour en Islande, les neuf marins qui composent l’équipage prennent la mer le coeur lourd et l’esprit noir. D’autant plus noir qu’aucun n’a la conscience tranquille. Sang sur les mains, secret insupportable, la traversée jusqu’au Surinam se présente plutôt mal. Surtout lorsqu’un passager clandestin est découvert dans la cale du navire. Un truand, un vrai, sans foi, ni loi, ni âme. Le Démon de son petit nom, va attiser les rancoeurs et donner aux tristes marins l’étincelle de hargne et de haine suffisante pour mettre le feu aux poudres. La mutinerie guette le pauvre commandant, un homme au moins aussi étrange que les autres qui espère enfin le calme dans sa vie après cette maudite traversée. Mais au beau milieu de l’Atlantique, soudain, oeuvre du diable ou du démon peut-être, les communications sont coupées, le GPS les lâche et les moteurs partent à la dérive. Ainsi que le bateau. La détresse qui envahit les hommes va emporter le peu de raison qui gîtait à bord du bateau, et le bateau, fidèle à la mer et ses courants, traîtres diront certains mais immuables, suivra sa route jusqu’à les mener non loin d’un enfer tout autre.
Toi qui aime la mer, la glace, les bateaux et les atmosphères un tant soit peu glauque (toi qui a bon goût finalement), réjouis-toi! Loin de surfer sur la vague des polars scandinaves de ces dernières années, Stefan Mani propose ici un huis-clos sur voie navigable des plus pesant, lourd et poisseux. Ça sent l’huile de moteur, la sueur et le sang coagulé. Prenant pour trame un roman choral, on découvre au fur et à mesure de l’embarquement et de la traversée les vies de ces marins et truand, et les liens qui unissent les différents personnages vont tantôt nous éclairer de manière surprenante sur les fils de l’histoire,et tantôt nous balancer violemment sur une autre piste, plus sombre et plus étrange qu’on ne l’aurait cru. Plus les pages se tournent (oui oui toutes seules elles se tournent les pages) plus l’ambiance devient étouffante, la folie perce et la perte de contrôle devient totale. La dérive du bateau est égale à la dérive mentale des marins, qui perdent toute considération pour un semblant d’humanité et se laissent porter par leurs instincts. Le final, grandiose, majestueux et terrible, laisse flotter une angoisse dans des paysages on ne peut plus sublimes et une atmosphère presque lovecraftienne.
Un excellent thriller qui va rester dans les têtes aussi longtemps qu’une marée noire sur des plages de Bretagne…
541 pages
Marcelline