Sur les routes australiennes, avec un peu de chance vous pouvez croiser le chemin d’une faune assez incroyable; échidné, kangourou et autres péramèles. Mais ce que l’on ne sait que trop peu en France, c’est qu’un pudding grincheux nommé Albert et ses trois propriétaires Raoul Rasemottes le pingouin, Benjamin Bouchebleue le koala et Corentin le marin barbu baroudent également au rythme des chansons et des étoiles.
En effet, Norman Lindsay est connu et reconnu dans son pays natal pour son conte portant sur Les Aventures de Magic Pudding, recueil illustré par lui-même débordant d’humour anglais facétieux et d’imagination comme l’on n’en croise que très peu dans le milieu de la littérature jeunesse.
C’est au hasard des étagères d’une bibliothèque que j’ai découvert cet album quand j’étais petite comme un walibi, et ce fut l’un de mes coups de coeur que j’ai eu le plaisir de me procurer bien plus tard. C’est avec le même plaisir que j’ai croqué à pleine dents dans cette histoire à la fois dépaysante et pleine de nostalgie, peuplée de personnages attachants et charismatiques et illustrée avec un talent rappelant les dessins de Gustave Doré pour Alice aux Pays des Merveilles de Lewis Caroll. Le parallèle avec cette oeuvre est d’ailleurs assez parfait pour expliquer l’atmosphère nimbée d’absurdité totalement ancrées dans la réalité, de l’anthropomorphisme omniprésent et de la finesse pleine d’esprit des chansons et poèmes qui jalonnent les textes respectifs. Moins sombres et tortueuses que le chef d’oeuvre de L.Caroll, les aventures recensées par Norman Lindsay sont pleines d’un esprit bon-enfant très jovial et léger, comme montées sur ressorts.
On y suit dont le quotidien de Benjamin Bouchebleue, koala très-comme-il-faut qui décide un beau jour de partir de chez-lui car il ne supporte plus les favoris de son oncle (qui trempent toujours dans la soupe, ce qui n’est jamais très agréable). Il croise très vite le chemin de Raoul et Corentin, deux braves gaillards qui vivent tranquillement leurs vies au jour le jour en ne se souciant de rien et pour cause, ils sont les heureux propriétaires d’un pudding magique.
Albert, le fameux pudding, en plus d’être doté de parole, est un repas dont on n’en voit pas la fin. Aucun coup de fourchette ne peut en venir à bout, et il rassasie les trois compères à chacun de leurs repas de pudding aux pommes, de pudding aux steak et rognons ou encore de pudding à la confiture. Mais il va sans dire qu’un tel trésor, aussi grincheux et rabat-joie soit-il, fait pas mal d’envieux, dont Patelin l’Opossum et Judas Wombat qui ne cessent d’élaborer des plans pour piquer Albert à ses propriétaires gourmands.
Prises de becs, gentilles castagnes et plans un peu simplets nous tiennent en haleine tout le long. Les chutes, même si elles sont prévisibles pour un adulte, sont toujours tournées avec esprit et jeux de mots, et aboutissent toujours à un rebond encore plus improbable. Du feu de grange au lynchage à base d’oeufs, en passant par un habile déguisements fait de chapeaux haut-de-forme ou encore de l’hymne God Save the Queen chanté pour démasquer les voleurs, les rebondissements se succèdent, toujours ponctués de remarques de l’auteur dont on se pourlèche les babines.
C’est un réel plaisir de voir des personnages issus de la faune australienne, tels que l’écureuil volant, le koala, le wombat ou le kookaburra, chacun avec son caractère et son mot à dire. L’ambiance générale qui se dégage des Aventures de Magic Pudding est drôle et joliment extravaganet en plus d’être totalement dépaysante grâce à cette ambiance de bush et de poussière qui est représenté sur les illustrations de Norman Lindsay. Aussi fortiche au crayon qu’avec les lettres, celui-ci nous fait profiter de ses talents dans ce gâteau-livre acidulé.
D’ailleurs, ce qui m’a sans doute marqué à l’époque et que j’ai pu constater à la relecture de cet album, c’est que l’auteur ne prend pas les enfants, premier public visé, pour des imbéciles mais pour des lecteurs intelligents qui sont capables d’apprécier des tournures de phrases imagées sans passer par une écriture trop naïve ou trop sucrée. Il sort des sentiers battus, s’invente un univers et le partage avec un plaisir lisible.
A grand renfort de chansons, poèmes et illustrations, de vers comme de proses, Norman Lindsay a écrit un livre dont le succès continental ne s’explique que trop bien. Et son oeuvre mérite de traverser les mers et les océans, à la manière des deux matelots Corentin et Raoul, pour qu’enfants et adultes puissent plonger la tête la première dans ces péripéties gourmandes aux effluves de pudding caractériel.
Editions Anatolia
152 pages
Caroline