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Olivier Saison- Ewyt ou la nuit de ma disparition

Rencontre du troisième type avec Olivier Saison à travers son dernier roman, traque entre le chasseur et la proie, l’essence de l’esprit et les plaisirs de la chair, l’oscillation entre le réel et la fantasmagorie.
Parler d’Ewyt ou la nuit de ma disparition pourrait prendre des heures tant ce roman est à la fois riche et glissant, organique et anticonformiste. La ceinture bien accrochée, montez donc: voici le grand-huit le plus spectaculaire de la littérature française contemporaine.

Tout commence dans les années 50 au coeur de la demeure des Fauré, riche famille bourgeoise du Sud de la France où le jeune Ewyt, 11 ans, voit son père s’occuper de ses fleurs adorées tandis que sa mère aveugle prend des bains de soleil et pouponne Mathilde, la petite dernière. Chaque jour, les bonnes s’affairent à leurs tâches respectives avec entrain et l’entourent de leur douceur maternelle. Peinture parfaite d’une famille parfaite, ensoleillée et érudie, entourée de livres et d’hectares. Innocent gamin à la prose élaborée et au goût prononcé pour les farces, Ewyt voit le vernis de son quotidien se voiler peu à peu d’une manière qu’il ne parvient pas à s’expliquer; il est troublé par des formes qui avant le laissait de marbre, le parfum des corps se révèlent à lui… en bref, la puberté chamboule son esprit. Pas apeuré pour autant, il va déchainer sa métrique et sa force lyrique pour partir à la découverte de cette nouvelle terre qui l’attire et l’intimide. Aventurier mutin et rêveur, il  sera heurté par l’arrivée de Roquebrune. Ce précepteur aussi instruit que libertin va l’enfoncer encore plus dans cet état second, cette oscillation entre crainte et désir autour de la femme, allant jusqu’à lui dépeindre la femme comme un objet charnel et non plus émotionnel et inaccessible. Le jeune garçon va alors réfléchir à un plan, un farce dépassant toutes les précédentes. Mais tel et pris qui croyait prendre: cette mascarade nocturne va le faire se volatiliser subitement sans laisser de trace.

“Il n’était même pas un lieu, il était un espace temps: une somme de choses, de noms, d’époques mentales dont on ne souhaitait plus qu’ils appartinssent au présent mais qu’on n’aurait pu brûler sans s’amputer soi-même, et qu’on gardait coupablement en attendant l’amnésie. (…) Mes parents avaient opté pour les draps sans deviner que, bien davantage que les araignées et les termites, leur blancheur immaculée attirait l’oeil des enfants. Nos premiers draps blancs, Laure les avait soulevés avec, dans l’oeil, cette lueur démoniaque là où j’enlevai les suivants d’une main timide, gourde, lestée par le respect dû aux ainés.”

Une vingtaine d’années plus tard, Mathilde décide de retrouver son frère ainé et retourne seule dans la maison familiale. Celle-ci, désertée suite à la disparition du jeune héritier, fait office de manoir nostalgique et poussiéreux, délaissé par les parent Faure partis faire fortune en construisant un parc d’attraction aux Etats-Unis.
Seule et téméraire, la jeune femme va ouvrir le second volet du roman, avec un récit ancré dans les années 80. Agrippant le passé à bras le corps tout en étant animée d’une dynamique farouche et indépendante, cette belle rousse soulève la poussière et déclenche un sacré remue-ménage dans le village attenan.
Ici, Olivier Saison s’arme d’un style plus contemporain et houleux qui fait contrepoids avec l’écriture plus soutenue du livre I. La canicule écrasante et les herbes folles remplacent le froissements de pages et le calme bourgeois régnant sur la maison deux décennies plus tôt. Très vite, Mathilde se sent observée et plusieurs phénomènes étranges surviennent aux coins des pièces et sous la canopée du parc.
Elle fait la rencontre de Roquebrune, maintenant obsédé par des femmes factices qu’il s’emploie à rendre vivantes, la connaissance de la jolie fleuriste du village et de ses compositions farfelues tout en s’employant à retrouver son frère par des moyens tordus et alambiqués à base d’uniforme amidonnés et de guêpière mordue.
Mathilde le retrouve à travers le verre opaque des toilettes, pour disparaitre brusquement à son tour, comme si les deux membres de cette fratrie ne pouvait que se croiser, se voir à travers le prime du contretemps.

Olivier Saison nous transporte ensuite au coeur du parc d’attraction Fauré, Bailey & Donovan, royaume des sensations fortes et du factices faisant concurrence direct à Disneyland. On y retrouve un Ewyt adulte qui semble flotter dans un univers trop grand pour lui. Vaquant à des tâches quotidiennes creuses, mattant les strip-teaseuses du parc à travers leurs caravanes comme il le faisait enfant avec les bonnes à travers les lattes du plancher… Il reste encore et toujours obnubilé par la gente féminine: mères, soeurs, orpailleuses, diseuses de bonne-aventure, dominatrices allumées ou gentilles petites étudiantes, quelque soit leur rôle dans sa vie, notre Ewyt virevolte à la manière d’un papillon de nuit, se heurtants encore et encore à cette lumière incandescente qu’il n’arrive pas à maitriser.

“Frankie, la bouche gluée à la vitre comme si il voulait la sucer, bavait, les yeux fermés. J’étais coincé entre une norvégienne velue et sourde et un voyeur spasmophile. Je lui remis son béret, il y avait de la buée, sous sa bouche.
Réfléchissons: si je racontais qu’un avion de 
reconnaissance volant à très basse altitude l’avait largué sur le toit de sa caravane? Et l’abduction par les extra-terrestres, elle aurait pu y croire aussi, en tant que cosmonaute… “

A grand renfort d’ellipses et de métaphores ingénieuses et poétiques, Olivier Saison nous fait plonger dans un style littéraire d’un genre nouveau. Son univers circule en flux tendu entre la rêverie et la réalité, brouillant les pistes des romans conformistes et se traçant sa propre voix. Dans Ewyt ou la nuit de ma disparition, on lit des personnages hauts en couleurs et surtout on a l’impression de revêtir autant de peaux qu’il y a de protagonistes. Mathilde et son frère sont détaillés avec minutie et inventivité: pas de description à proprement parlé mais des détails par-ci par-là qui nous permette de les connaitre de la même manière que l’on apprend à connaitre quelqu’un: par clair-obscur, ne sachant parfois pas sur quel pied danser mais interceptant des détails intime qui forment une vie.

Olivier Saison jongle avec les apparences sans faire tomber de balle et crée un environnement réel plein de torpeur floue. Parfois érotique, parfois ésotérique, avec humour et poésie, il s’appuie sur les secrets de familles et les non-dits pour broder un récit qui se dévore d’une seule et unique traite. C’est un véritable monument romanesque entre époque victorienne traditionnelle et valeurs modernes amplifiées qu’il battit à la seule force de ses mots. Un grand-huit endiablé qui côtoie un palais des glaces vétuste. Il aborde beaucoup de thématiques fortes sous forme de contre-poids: notamment celle des bonnes servants les Fauré dans les années 50 qui laissent places à des féministes fortes et engagées 30 ans plus tard.
Jouant les cordes de l’ésotérisme, du charlantisme plastifié des bonnes moeurs et des liens entre les corps et les esprits, Olivier Saison lance un véritable sortilège holistique qui ne peut que nous hypnotiser. C’est un conteur qui mérite sa tente dans le parc des auteurs contemporains à découvrir, un forain enchanteur qui use du verbe avec l’habilité du trapéziste: il s’envole haut et nous fait profiter de la vue.

“Remontons donc, oui, c’est cela, remontons… Des moulinets… Encore des moulinets, Ew, mais pas à l’endroit, plus à l’envers. Ceux d’une femme qui pédale. (…) Elle pédale sur une route, le long d’une forêt, debout sur le vélo. Elle descend très vite, déroule très vite le fil des ans comme si celui-ci s’était grippé et qu’elle avait besoin d’élan, de beaucoup d’élan. Elle fuit, elle aussi. Elle a peur mais pas pour elle. Elle a peur pour toi mais ça toi, tu ne le vois pas, de même que tu ne peux voir la forêt immense et sans âge autour de vous, ni même le visage de cette femme qui te délivre: tu es endormi, ou inconscient.”

olivier-saison-ewyt

Editions Cambourakis
455 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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