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Oluminde Popoola Annie Holmes Brèches couverture

Olumide Popoola & Annie Holmes – Brèches

Dans cette jungle, pas de canopée ou de chants d’oiseaux, mais des tentes à perte de vue. Une forêt bidonville, qui a poussé aux débuts des années 2010 suite à la crise migratoire et où des milliers de personnes déracinées attendent. Surnommé la Jungle de Calais, ce bout de lande est devenu un camp précaire pour ces femmes, hommes et enfants fuyant leurs terres pour survivre et souhaitant gagner l’Angleterre.

Écrit dans le cadre d’une résidence par les deux autrices Olumide Popoola et Annie Holmes, Brèches donne la parole aux voix passées sous silence. Par le biais d’éclats de vie fictifs, elles humanisent les migrant·es en transition, celles et ceux dont on détourne le regard et qu’on habille de préjugés.

– Parce qu’on est mineurs. Et que les mineurs vont peut-être pouvoir rejoindre leur famille en Angleterre. Une nouvelle loi.
Il devait avoir dix-sept ans, je le compris soudain. Il le fallait. Sinon, il allait devoir rester là.

Le type est jeune, maigre, il doit avoir dans les vingt-deux ans. Il n’a pas besoin de préciser le sens de ses menaces. Tout le monde dans le camp connaît le sort de ces fous qui ont fâché un passeur ou qui ne l’ont pas payé : ils ont été traqués et battus comme des scélérats, et leurs familles ont été harcelées et délestées du double de la somme. Ils sont détestés, ils sont craints, les passeurs, mais sans eux, personne ne va nulle part.

Le ton est direct, sans être moralisateur ou dramatique. On y lit les pensées aussi bien des habitant·es du camp que celles des passeurs véreux, des bénévoles en quête de bonne conscience, mais aussi des Calaisiens et Calaisiennes. Tous ces regards portés sur une situation unique nous invitent à nous (re) questionner, en faisant face à notre propre déni ou à notre ignorance volontaire.

Chaque chapitre fait résonner un témoignage, qui bien que fictif, fait douloureusement écho à la réalité : celle d’un drame qui ne possède plus de sol. On y lit une attente aux allures de transition éternelle, accompagnée de la perte de repère et de but. Le racisme envers celles et ceux qu’on accuse « d’envahir », de « voler », en omettant bien facilement ce qui les pousse à se déraciner de leurs pays, laissant parfois derrière eux une partie de leur famille, et inévitablement des mort·es. Ielles portent les échos des guerres, des sacrifices et des drames, sont les incarnations de ce qui nous parait lointain et presque irréel à travers les journaux et les écrans.

Olumide Popoola et Annie Holmes ne prennent jamais parti, n’imposent pas leurs visions : elles survolent le quotidien dans les installations précaires du camp, se penchent plus sur l’esprit d’entraide intercommunautaire qui y éclot. Elles y abordent la condition des femmes, l’utilité des bénévoles, la xénophobie, les prises de risque énorme (et parfois morelles) encourues par les migrant·es… Tout est abordé en filigrane, avec beaucoup de sobriété et de finesse, de respect. En effet, on ne trouve pas le piège du pathos et des larmes dans Brèches, plutôt de l’authenticité et même parfois de l’humour. 

Mais pourtant, sa lecture agite et retourne. Ces témoignages fictifs de voix réelles bourdonnent et éclatent et les masses s’individualisent, s’humanisent. À nous d’admettre et d’agir, enfin.

Soudain arrive sa prof de flûte, un bol de soupe dans chaque main – un pour elle, un pour Muhib.
– Je peux vous poser une question ? lui dit ce dernier.
– Bien sûr.
– Vous allez bientôt rentrer chez vous, à Berlin, c’est ça ?
– Tôt ou tard, oui, dit-elle en haussant les épaules.
– Oui, vous allez rentrer. Tous les bénévoles finissent par rentrer. Et vous allez nous laisser ici, dans la Jungle. On pensera à vous, et vous nous manquerez. Ça nous fend le cœur. Alors, s’il vous plaît, ne nous aimez pas autant.

 

Oluminde Popoola Annie Holmes Brèches image

Belleville éditions
168 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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