Alors que nous nous remettons à peine de la bombe que fût « Ring Shout » (Prix Locust et Nebula) de P. Djeli Clark, voici que les éditions Atalante nous replongent dans l’univers singulier de l’auteur avec son premier roman.
Depuis presque un an maintenant, nous entendons régulièrement parler de cet auteur américain, ayant grandi entre New-York, Houston et Trinité-et-Tobago. P. Djeli Clark, est historien et chercheur en étude comparée de l’esclavage et de l’émancipation dans le monde atlantique, quand il n’écrit pas, un bagage qui impressionne et ajoute une profondeur supplémentaire à ses univers fictifs. Nous avions pu apprécier sa richesse dans “Les Tambours du dieu noir” et “L’étrange affaire du Djinn du Caire”. Puis de replonger aussitôt en Egypte avec les agents du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles dans « Le mystère du tramway hanté ».
Mais comme il est dit plus haut, le coup de grâce vint avec le magistral « Ring Shout », qui nous plongeait dans un texte aussi merveilleux que sans concession rappelant, genre mise à part, mais dans le propos de fond et l’ambition un autre auteur américain qui avait fait énormément de bruit avec « l’oiseau du bon dieu » de James McBride ( Gallmeister). Dans les deux cas, par le truchement de la fiction nous plongions dans l’histoire de la violence américaine et de l’émergence d’une culture afro-américaine appelant à l’émancipation.
Voilà pour les présentations, mais de quoi parle « le maître des Djinns » ?
Retour au Caire, en 1912, suite à l’étrange massacre du collectif de la Fraternité d’Al-Jahiz, par… Par soi-disant al-Jahiz lui-même. Nous retrouvons Fatma en charge de l’enquête, affublée d’une partenaire, contre son gré, par le ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles. Cette dernière sent le subterfuge et plonge dans une enquête à tiroirs mêlant magie et mystère autour d’un énigmatique personnage dans une Egypte uchronique foisonnante.
La grande force du récit réside dans l’univers qu’a su construire P. Djèli Clark. En replaçant ainsi l’Egypte au centre de l’échiquier international, en développant un univers uchronique mêlant magie, surnaturel et steampunk, ici nous nous aventurons dans un monde aussi envoûtant qu’énigmatique et foisonnant d’idées et de trouvailles.
Par le biais de l’uchronie, l’auteur se permet, là aussi, par petite touche, d’être critique sur notre société, et en particulier sur les européens de l’époque. Mais sans pour autant oublié de pointer un certain nombre de dysfonctionnements de la société Égyptienne. Notamment, la question de la place de la femme est évoquée là aussi par petite touche. Sans tomber pour autant dans le récit politique, nous restons en face d’une œuvre de genre aux prétentions avant tout fictive.
Néanmoins, ce qui peut-être un peu déroutant est un des travers de l’auteur que nous pouvions déjà constater dans ses précédents textes. L’auteur maîtrise son sujet, mais accumule par moment certains clichés que nous avons pu voir et revoir au fil des œuvres. À titre d’exemple, l’inspectrice solitaire qui se retrouve affublée d’un.e partenaire sans son consentement, vivant seul, ayant une relation avec un.e mystérieux.se compagnon/ne, etc… Ce qui très clairement prête à sourire tant certains clichés éculés ont la dent dure et peuvent paraître être des facilités narratives et nous sortir de l’histoire.
Mais passé ce petit détail et le rythme qui se permet de se la jouer quasiment par système de rebondissement à chaque fin de chapitre, donc une fois accepté ce parti-pris, nous nous retrouvons à plonger sans condition dans un univers magnifiquement retranscrit et d’une richesse rare.
Phenderson Djèli Clark est un auteur à suivre et a su développer un univers singulier et fascinant en l’espace de trois novellas et un premier roman. Le dépaysement est garanti, l’écriture agréable est totalement au service du récit, tout en se permettant quelques digressions bien senties. Un premier roman, magnifiquement traduit par Mathilde Montier, qui en appelle un second, en tout cas la fin le laisse fortement comprendre, et l’on espère une suite en tout cas. Retrouver Fatma et ses aventures étant une source de plaisir digne des grands personnages de la littérature de genre contemporain, il serait dommage de s’en priver.
Editions Atalante,
La dentelle du Cygne,
Trad. Mathilde Montier,
480 pages,
Ted.