Sorti en 2023, en langue anglaise, et remportant le prestigieux Prix Booker l’année de sa sortie, le président du jury qualifiant le roman de « triomphe du récit émotionnel, stimulant et courageux », « Le chant du prophète » débarque en France en ce début d’année 2025 aux éditions Albin Michel avec une traduction méticuleuse de Marina Boraso.
Paul Lynch n’en est pas à son premier coup d’éclat. Nous pourrions même dire que l’auteur est un habitué dans ce domaine. Chaque sortie est un événement en soi, justifié par la grande qualité d’écriture et littéraire de l’auteur. Dès son premier roman (un ciel rouge, le matin) il a su conquérir aussi bien la critique que les lecteurs. Un premier texte qui posait déjà tout l’univers de l’auteur. Des paysages habités, des humains torturés, malgré une fausse insouciance et cette errance dans un monde qui est fatalement plus grand que nous.
Avec « Le chant du prophète », Paul Lynch semble franchir un nouveau cap : il explore d’autres terrains, plus arides, pour la psyché et qui porte en soi, dans chaque mot, le parcours des personnages au fil de l’histoire.
Ici, l’histoire se déroule toujours en Irlande, mais dans un avenir plutôt proche et dystopique. La république d’Irlande semble être dans un moment de bascule historique et pour le moins inquiétant. Nous suivons la famille Stack, en particulier Eilish, la mère, qui suite à la disparition soudaine de Larry après une convocation par la Police (son mari, enseignant et syndicaliste), se démène pour subvenir aux besoins de ses quatre enfants et tente de maintenir une normalité dans leur quotidien, malgré l’absence du père et les questions qui tournent autour.
En fond, nous devinons que le pays sombre, et devient un pays autoritaire. Une milice est installée, la chasse aux syndicalistes et sympathisants de gauche est lancé, les disparitions se multiplies. Puis la guerre civile finit par s’installer, imposant encore plus d’arrestations, de disparitions et d’exécutions. C’est dans ce cadre que nous évoluons en suivant Eilish, à la recherche de toutes les solutions possibles pour protéger ses enfants, y compris celle de fuir son pays.
Avec « Le chant du prophète », Paul Lynch aborde la thématique de la Dystopie et plonge le lecteur dans un monde qui n’est pas sans rappeler la guerre civile en Syrie. L’auteur ne s’en cache nullement, ce fut même sa principale source d’inspiration pour écrire son dernier roman.
Mais, en 2025, et avec la montée des extrêmes droites dans de nombreux pays, ainsi que le retour de Trump aux Etats-Unis, la dystopie semble petit à petit s’effriter pour de plus en plus coller au réel. Bien que l’auteur ne chercha pas à écrire une sorte de « mise en garde » sur un avenir inquiétant, mais proposa plus de comprendre le vécu du peuple syrien en le transposant au cœur de l’Europe, force est de constater que cette dystopie semble de plus en plus s’imposer comme un présage cruel.
Avec son style habituel, Paul Lynch nous plonge dans l’enfer de l’autoritarisme, nous faisant ressentir cette permanente urgence statique, où tout peut s’écrouler à chaque instant, sans que l’on puisse faire quoi que ce soit. La répression s’inscrit jusque dans notre chair, et porte en son sein l’acidité de la peur et le vide du doute permanent quant au déroulé de la vie.
Le livre peut paraître anxiogène, et il l’est, ce qui le rend d’autant plus indispensable à lire. Car ici, vous comprendrez l’autre, l’étranger, le migrant. Vous partagerez cette humanité en survit, le quotidien des hommes, des femmes et des enfants qui fuient leur pays, non par choix, abandonnant tout, absolument tout, jusqu’à la dignité, mais par nécessité absolu, pour avoir une chance infime de continuer à vivre.
Et c’est là où réside toute l’intelligence de Paul Lynch, et qui fait de lui un grand auteur de notre siècle. Paul Lynch, son style, c’est avant tout de l’empathie pour ses personnages. De l’empathie dans l’adversité, dans le désespoir, dans l’urgence. Une empathie d’autant plus construite intelligemment qu’ici, elle plonge le lecteur au côté d’Eilish et l’emmène avec elle jusqu’au bout du roman. Un choc littéraire qui, in fine, laissera le lecteur chaos, marqué et profondément changé.
Albin Michel,
Trad. Marina Boraso,
304 Pages,
Ted.