Kevin Pace, voici un personnage qui va rester dans la mythologie de Percival Everett. Artiste peintre, noir américain, ayant une vie tranquille en apparence, il est le narrateur de Tout ce bleu. Il Garde jalousement enfermé dans une dépendance un tableau qu’il travaille depuis des années. Interdisant l’accès à sa femme, ses enfants ou son ami, ce tableau et cette pièce sont devenus le repère aux secrets du peintre. Kevin Pace tout en nous racontant son présent, revient en parallèle sur deux périodes de sa vie, deux périodes pivots, qui ont forgé l’homme qu’il est devenu et qui ont laissé une trace indélébile, deux secrets qui l’habites. Une couleur symbolise son dégoût, le bleu.
L’année mille neuf cent soixante dix neuf, nous suivons un jeune homme, un futur peinte. Il accompagne son ami à la recherche de son frère dans un Salvador sur le point de basculer en pleine guerre civile. Un jeune Kevin qui va planter la première pierre de sa cathédral de secrets une vie durant.
Puis nous alternons avec une seconde période, des années plus tard, dans un Paris tout en romantisme et douceur, ou une rencontre va le faire chavirer et vivre passionnément le temps d’un séjour.
Deux secrets, deux piliers qui vont entrer en échos avec le présent lorsque sa fille va oser lui avouer un lourd secret.
Le secret, n’est-il pas, finalement, le moteur créatif du narrateur ? Peut-on penser, sommes nous en droit de penser, qu’ici l’œuvre de Pace existe grâce à ses expériences passées qui ont forgé l’homme qu’il est devenu aujourd’hui ? Et enfin pourquoi le bleu est-il aussi rédhibitoire pour Kevin Pace ?
Percival Everett aborde des thématiques que l’on sent importantes à ses yeux. Le poids du secret, le bonheur, l’évolution des sentiments ou la pulsion créatrice sont autant de thèmes abordés qui transparaissaient en filigrane dans ses précédentes œuvres, mais qui aujourd’hui, avec la maturité d’un auteur de sa trempe, prennent toute leurs dimensions romanesques et philosophiques.
Tombant à aucun moment dans le cliché du poids du secret et de la quête de rédemption. Percival Everett décrit un Kevin Pace beaucoup plus complexe et finalement beaucoup plus humain que ce que l’on serait en capacité d’attendre. L’auteur nous régale de dialogue fin, souvent drôle et ne manquant jamais de profondeur, le tout emmené dans un rythme plutôt dynamique et prenant. Jouant sur trois temporalités, Percival Everett se joue de nos attentes et distille une narration multiple menant à une seule et même finalité : le mystérieux tableau.
Percival Everett est de retour, et de la manière la plus lumineuse qui soit. Confirmant avec « Tout ce bleu » que l’auteur de l’Effacement est définitivement à part et que ses œuvres ont beaucoup plus à offrir que ce que laisse penser le quatrième de couverture.
Un roman de 2019 indispensable !
Actes Sud,
Trad. Anne-Laure Tissut,
335 pages,
Ted