Trinité de personnages qui s’actionnent autour de trois éléments fixes (à savoir, un verre, un vélo, une chemise que l’on déboutonne ou qui engonce), devenant tour à tour parents, puis frères et sœurs, puis amants et connaissances : voici la base modelée, pressée, lissée de la pointe de la plume de Perrine Le Querrec (Rouge pute) le long de quarante-deux pistes. Deux fois vingt plus deux histoires en accéléré de vies entières capturées en quelques lignes, saisies d’une écriture essoufflée.
“Il plaît à Ève. L’eau cascade dans sa gorge, onde fraîcheur sur son cou remous, le verre accroche la lumière, le temps, l’air. Message télégraphique intense et muet, insistant, liquidité solide où plonger sa main, étancher sa soif.“
Sans blanc ni respirations, les possibilités s’enchaînent en cristallisant la violence ou l’amour, épinglant l’innocence et la colère bouillonnant dans les cœurs d’Ève, Ptiotr et Tom. Ces derniers forment un écho de surfaces dépolies, comme autant d’éventualités sur lesquelles s’envoler, se décliner à l’infini et mourir, peut-être.
Les Pistes entrecroisent les fils d’une toile brodée d’univers parallèles, de vies fragmentées entraperçues par le trou d’une serrure. La vision est resserrée, furtive, l’on saisit l’instant et devine les contours.
“Eau durcie. Feu froid. Vide fait matière qui porte en lui l’espace. Les lèvres d’Ève brillent, elle parle sans mot, Ptiotr perçoit son frissonnement, sa délicatesse. Elle ne tient pas le verre. Elle l’incarne, il n’est que de peindre Eve pour trouver le secret.“
Délicatement capturés par Perrine Le Querrec, ces trois protagonistes dansent sur l’éclat des comètes filant devant nos yeux, se réverbèrent en une multitude de facettes chamarrées et terribles. Impact, brisures, éclosion. Ève, Ptiotr, Tom. Trois éléments pour une infinité de nœuds et de conjonctures. Trois êtres qui se lisent à travers chacun et chacune de nous, qui incarnent les remous de l’univers humains. Parfois s’y glisse une référence à un film, une pensée, une icône, imperceptible ou frappante.
Expérience de narration qui entre en résonance avec nos propres cheminements multiples, Les Pistes sont poésie. Elles suivent les sinusoïdales de l’imaginaire, mordent la poussière et se reflètent les unes aux autres, palais des miroirs et d’écriture.
“Les gouttes de mots s’écrasent sur la fenêtre, ondulations en lacets que nous suivons du bout du doigt, une puis une autre, une puis une autre.”
Art&fiction
Collection ShushLarry
128 pages
Caroline