Si pour certains une pharmacie est un endroit aseptisé, sans saveur, pour Magnus Florin, cette pharmacie-officine surannée devient le lieu d’un huit-clos familial, odorant et énigmatique. Ecrivain reconnu en Suède, la Pharmacie est son second roman publié en France.
Dans une Suède hors d’âge, un garçon, bientôt jeune homme, souhaite suivre les traces de son père et devenir pharmacien. Ainé d’une fratrie de dix, il est le messager entre parents et enfants, le point de repère autour duquel se structure la famille. La fratrie le suit comme un seul homme, les parents les ignorent, concentrés sur l’ainé.
“Juin. Juillet. Août. Les frères et soeurs dorment dans leurs lits. Je les borde pour m’assurer qu’ils sont bien au chaud.”
Plongé dans l’étude rigoureuse du Code pharmaceutique, des mathématiques, du latin et de la chimie, ce dernier transmet ses connaissances, comme une litanie, au reste de la fratrie. Fasciné par les procédures minutieuses des décoctions, par la beauté des alambics et bocaux anciens, il s’abandonne totalement à la pharmacie du Lion, s’oubliant même. A la mort de ses parents, il se retrouve en charge officielle de la pharmacie et de la famille, faisant de la fratrie ses assistants. Mais ces derniers sont bien plus intéressés par les taux d’alcools dans les préparations et bien moins consciencieux que leur ainé.
“Septembre. Zèle et diligence règnent à la Pharmacie du Lion. Je demande à mes frères et soeurs : – Vous êtes contents, non ? Moi, je suis content. Vous aussi, n’est ce pas ?”
Porté par une écriture aérienne, lapidaire et envoutante, Magnus Florin nous livre une fois encore un livre plein de poésie et de justesse. Succession de micro-paragraphes, de règles scandées, de silences signifiants, Florin prouve à nouveau son art de la dramaturgie, nous laissant le soin de découvrir et démêler les ressentis de chacun. Pour chaque lecteur se déroule une histoire un peu différente, imaginant les blancs voulus par l’auteur.
Tout au long des 112 pages, la fratrie va tenter d’échapper à son destin de suiveur de l’ainé, essayant tour à tour de se différencier, de se désolidariser mais est-ce possible ? Peuvent-ils réellement exister individuellement, se détacher de la figure titulaire qui a toujours régi leur vie ? Et l’ainé, qui semble pourtant fier de sa famille, acceptera-t-il les velléités de liberté de ses protégés ? Entre responsabilité et amour, protection et contrôle, les frontières se troublent jusqu’à exploser.
Lente litanie mêlant officine et drame familial, La Pharmacie fait partie de ces courts textes qui nous emporte totalement le temps d’une lecture et continuent à raisonner longtemps après. Fantaisiste, solennel, poétique, parfois gothique et bouleversant mais jamais moraliste, Magnus Florin confirme son statut d’écrivain majeur de la littérature contemporaine scandinave qu’on confine trop souvent aux policiers et aux romans contemplatifs.
Editions Cambourakis,
Traduction collective dirigée par Elena Balzamo,
112 pages,
Aurore
Extrêmement tentatrice, cette pharmacie, bel article !