En 1962, alors que l’auteur semblait bien rodé dans sa routine de récit de science-fiction, et alors que son agent n’arriaite pas à placer ses romans explorant d’autres styles, Philip K Dick fraîchement marié avec Anne Dick, publie chez G. P. Putnam’s Sons Le roman qui va tout changer. Un texte qui remportera le prix Hugo l’année suivante. Le maître du haut château existe, et l’histoire est en marche.
Il va falloir attendre 1970 et l’éditeur OPTA (Office de Publicité Technique et Artistique), une maison d’édition spécialisée dans la littérature policière et de science-fiction, pour découvrir le roman de PKD sous la traduction Jacques Parsons.
Reconnu comme chef d’œuvre de la science-fiction, occupant souvent le top 10 des classements des meilleurs livres de ce genre, il va surtout permettre à l’auteur de sortir de sa ritournelle bien huilée de littérature de « divertissement pulp » et d’aborder ses obsessions et tropismes différemment.
Franklin Roosevelt est assassiné par Zangara en 1933, la crise économique enfonce les USA et l’Amérique républicaine prône la neutralité sur le plan international. Ce qui par un concours de circonstance et de rendez-vous manqués pour l’Amérique, et le monde, va permettre à l’Axe (Allemagne et Japon en particulier) de remporter la seconde guerre mondiale et ainsi de dominer le monde.
Les États-Unis, dès lors, se retrouvent partagées en trois régions, nazi, neutre et japonaise. La culture américaine est reléguée aux vestiges des cultures disparues et le programme spatial allemand a permis de coloniser la lune.
C’est dans ce contexte que nous rencontrons les protagonistes. Robert Childan, un antiquaire spécialisé dans les artefacts américains, vivant en zone japonaise et rêvant de gloire et de reconnaissance auprès des occupants. Frank Fink, un juif américain, cachant sa confession religieuse pour éviter d’être déporté en zone allemande, qui se lançant dans l’artisanat de bijoux américains contemporain. Juliana son ex-épouse et professeur de judo et enfin M.Tagomi, un chef d’entreprise respectable et respecté, client de Robert Childan.
Tout ce petit monde va graviter autour d’un mystérieux roman, interdit en zone allemande, « Le poids de la sauterelle » écrit par un certain Hawtorne Abendsen, et ayant la réputation sulfureuse, de raconter un monde où l’Amérique a remporté la Seconde Guerre mondiale et mis en échec le régime nazi.
Ici, point de Science-fiction grand spectacle comme a pu nous habituer l’auteur au préalable. Le point de départ, la Seconde Guerre mondiale perdue par les alliés, n’est qu’une toile de fond, et finalement, l’auteur s’attache surtout à parler du quotidien des protagonistes, s’intéressant aux routines et aux enjeux d’une routine sous occupation étrangère et disparition de l’identité américaine.
Ce qui peut perturber quand nous parcourons les romans de Philip K Dick par ordre chronologique. Ici, l’auteur prend le temps, joue sur l’ambiance, aborde le principe de rituels de société basé sur des cultures non-américaines. Le roman est plus épais, exit le format 200/250 pages habituel, l’auteur veut prendre le temps de nous proposer une histoire, de nous plonger dans son monde et de nous noyer dans les référentiels de ce dernier.
Les obsessions de l’auteur sont toujours présentes, mais plus central, elles servent la narration, et même dans le certains cas ne font que de petites incursions rapides, comme “set-up” pour faire écho à un “pay-off” énigmatique en fin de roman ( la scène du parc avec M. Tagomi et la réponse du Yi King à la fin du roman).
Le Yi King justement, omniprésent dans le roman, et soulignant l’éternel questionnement de l’auteur sur le libre-arbitre, aura également eu une incidence sur la rédaction du roman. Ainsi, parait-il PKD utilisait régulièrement le Yi King durant cette période autant pour lui que pour la rédaction de son roman.
Un dernier point, toujours sans trop vous dévoiler le roman, est intéressant et metafictionnel. Le principe du faux, du simulacre, l’auteur va l’exploiter tout au long du texte, par le biais d’objets, de personnages, de lettres, de livres, de mondes, etc… Jouant sans cesse sur la duplicité. L’auteur se met lui aussi en opposition quant à son authenticité et s’oppose implicitement à Hawthorne Abendsen, une mise en abyme passionnante et qui a cette particularité de nous permettre d’apprécier toute la profondeur du propos de l’auteur.
Le Maître du Haut Château est incontestablement un des livres essentiels de Philip K Dick, et de la science-fiction en général. Il s’agit d’une petite merveille d’ingéniosité, d’histoire à tiroirs que l’on peut lire et relire et encore découvrir des détails page après page. Un grand roman qui ose proposer une science-fiction minimaliste tout en plongeant le lecteur dans un univers totalement inédit et hyper réaliste, jusqu’au moindre détails. Une pépite.
Éditions J’ai Lu,
Trad. Michelle Charrier,
Postface Laurent Queyssi,
450 pages,
Ted.