Après le très dickien “l’œil dans le ciel”, l’auteur revient en 1959 avec « Time out of Joint ». Ce titre marque le passage de PKD chez l’éditeur américain Lippincott & Co, et marque une rupture dans les couvertures très « fifties » en proposant une illustration d’Arthur Hawkins, dans un esprit très… Saul Bass. Il s’agit ici de son dernier roman des années cinquante.
Dans une petite bourgade typique des années cinquante, aux États-Unis, nous suivons le quotidien de Ragle Gumm. C’est une célébrité locale. Grand vainqueur du jeu que propose le journal local « où sera le petit homme vert la prochaine fois ? », il vit grâce à ce jeu. Une activité chronophage, lui imposant une discipline quotidienne, avec en moyenne huit heures par jour consacré au concours.
Ragle vivant avec sa sœur et son beau-frère, ont une routine bien huilée, mais tout n’est pas si rose. Il y a des objets et des mots, par-ci par-là, des bizarreries qui ne cadre pas avec leur bourgade, leur quotidien ou leur vie. Des objets qui vont finir par prendre de plus en plus de place, jusqu’au jour où Ragle va tomber sur une ancienne revue ayant pour couverture une inconnue, une certaine Marilyn Monroe…
Souvent, l’on considère ce roman comme précurseur chez K Dick, le premier à aborder la notion de monde « simulacre », très en vogue dans les sixties. Mais ce serait oublié son roman « Les pantins cosmiques » qui par le truchement du fantastique abordait déjà, très en avance, cette thématique.
Une fois le mythe autour de l’œuvre cassé, intéressons-nous à ce qui fait de ce roman, un grand texte de Philip K Dick ?
Nous découvrons ici une œuvre plus intimiste. Là ou avec « l’œil dans le ciel » l’auteur nous faisait entrer dans la psyché des protagonistes de manière très frontal, ici la narration se fait en partie monologue. Ainsi, nous suivons la construction de pensée et l’évolution de Ragle dans cet univers singulier.
La science-fiction, en dehors du climax, se trouve être relayée au second plan. PKD nous parle ici de ses peurs, de sa paranoïa et des questions qui le hante quotidiennement. Nous pouvons d’ailleurs voir un gros clin d’œil à son quotidien. Philip K Dick était dans une période où il travaillait chez lui et où il craignait le regard et le jugement de ses voisins. Un isolement volontaire pour se dédier à ses livres, mais un isolement qu’il vivait mal. Ragle en devient dès lors une projection mi-réaliste mi-fantasmé de la vie de l’auteur. Une mise en abyme redoutable et attachante.
Ce questionnement quant à la réalité, la possibilité de la paranoïa ou encore les dérives politiques sont les bases de ce roman fonctionnant en spirale jusqu’au climax pour finir par une fin douce amer comme seul K Dick sait le proposer.
Le temps désarticulé est une œuvre majeur à plus d’un titre, dense, rythmé, pertinent et fin, l’histoire est une proposition de science-fiction intelligente et intimiste. La psyché est centrale, la perception questionnée et le lecteur se retrouve renvoyé vers ses propres doutes et sa propre interprétation du réel. Un titre qui inspirera énormément le cinéma, la télévision ou encore les jeux vidéos.
J’ai Lu,
Trad. Philippe Hupp,
254 pages,
Ted.