Édité en 1957, le troisième roman de Philip K Dick, « Les pantins cosmiques », prend un virage à quatre-vingt-dix degrés et explore un autre univers pour l’auteur. Abordant ainsi le genre du fantastique, Philip K Dick continue à ériger son œuvre et à parcourir son « Lore » pour construire petit à petit le mythe dickien.
Comme nous allons le voir, des thématiques reviennent, un certain fil rouge même, des obsessions. Mais son roman « Les pantins cosmiques » parle avant tout d’une étape importante chez l’auteur, de l’acceptation de ce dernier point, qui va s’exprimer ainsi très frontalement ici.
Ted Barton est de retour dans sa ville d’enfance, Millgate, dans les Appalaches. Une vallée isolée s’offrant aux plus curieux, après une longue route sinueuse. Il s’agit ici d’une ville lambda, avec ses commerces de proximité, son docteur, son école, son église, ses habitants, bref, la ville traditionnelle comme on l’entend dans les années cinquante. Mais quelque chose cloche. Millgate a changé. Rien d’étonnant non ? Après tout ça fait des années que Ted n’est pas revenu. Néanmoins, Millgate a trop changé, beaucoup trop même. Des rues entières ont été remplacées, et surtout, et le plus improbable même, un certain Ted Barton est né à Millgate, mais serait mort à neuf ans.
Le postulat de départ est assez simple dans le fond, et aborde très explicitement la thématique de l’identité et des fausses apparences chère à l’auteur. Donc nous serions tentés de penser, ici, qu’il décline simplement ses marottes dans différents genres et advienne que pourra.
Mais, à la lecture de ce troisième roman plusieurs points intéressant apparaissent. Et il faut que j’essaie de vous en parler sans vous révéler le fond de l’histoire et surtout le final.
« Les pantins cosmiques » se coupe de manière originale du gigantisme des deux premiers. Fini l’espace, l’exploration spatiale, les possibilités vers l’infini, etc… Ici, l’histoire fonctionne dans une sorte de huit-clos. Un lieu, encastré entre des montagnes, isolé, quelques habitants du lieu et c’est tout. Comprenez par là, que là où l’univers de l’auteur fourmillait de détail dans « Loterie solaire » ou dans « Les chaînes de l’avenir », ici le monde extérieur est le grand absent. Ce qui n’est pas, en passant, sans rappeler les ambiances de Richard Matheson.
Ce contexte appellerait à du contemplatif et des étirements de scènes comme dans « Les chaînes de l’avenir », mais Philip K Dick, étant très visiblement toujours dans cette quête de style et de genre, prend cette facilité à contre pied et au contraire écrit un récit très rythmé, avec des descriptions plus courtes, plus dans le style de rythme et d’écriture qu’il aura par la suite. Donc, malgré l’absence de travail d’ambiance, l’auteur accentue cette sensation d’isolement et provoque un état d’urgence chez le lecteur qui sert à renforcer l’empathie envers Ted Barton.
Néanmoins, et je dois revenir sur le point du fourmillement, le monde extérieur ne fourmille pas ici, le monde de Millgate en revanche est un monde en soi. S’essayant au fantastique et à la fantasy avec « Les pantins cosmiques », Philip K Dick se fait plaisir et nous fait plaisir en construisant toute une « micro-mythologie » d’une grande richesse et d’une cohérence telle que notre contrat de suspension consentie d’incrédulité est signé dès les premières pages. L’histoire fonctionne, que ce soit grâce à son genre et les thématiques abordées ou encore sa narration plus ramassée et sèche et surtout un bestiaire qui n’a rien à envié à Lovecraft ou King.
Ce que l’on retient ici, outre un texte réussi et prenant, avec quelques scènes vraiment marquantes, est l’étape supplémentaire franchie par l’auteur et qui le mène invariablement vers ce qu’il sera par la suite et surtout ce qui aura construit sa réputation. Là où timidement, il venait s’y frotter avec « Loterie solaire », Philip K Dick assume pleinement son attrait pour le mysticisme et la spiritualité et ainsi l’assimile et l’utilise pour servir tout un pan de l’histoire que j’ai volontairement omis pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte.
On oublie bien trop souvent la polyvalence et les phases d’explorations de Philip K Dick, mais passer à côté de ses pantins cosmiques ce serait certainement se priver de la découverte d’une œuvre de l’auteur qui mérite beaucoup plus d’attention et de reconnaissance.
J’ai Lu,
Trad. Jean-Luc Estebe,
188 pages,
Ted.