Poussé par sa femme, au début des années cinquante, et après s’être employé à écrire une soixantaine de nouvelles de 1952 à fin 1954, Philip K Dick se lance dans l’écriture de son premier roman : Loterie Solaire.
L’auteur alors âgé de 26 ans, déjà très prolifique en histoires, cherche à développer une histoire politique basé sur la théorie des jeux. Philip K Dick est influencé par les travaux de John Von Neumann, et son collègue Oskar Morgenstern qui ont publié une dizaine d’années plus tôt (1944) un essai intitulé Theory of Games and Economic Behavior (Théorie des jeux et du comportement économique). Ouvrage qui permit à La théorie des jeux de devenir un champ de recherche à part entière, L’essai de Neumann et Morgenstern s’intéressant en particulier à la méthode de résolution des jeux à somme nulle.
Une autre influence, elle littéraire, avec la bouteille du roman faisant écho à la machine des jeux de Van Vogt dans le monde des Non-A, qui fut publié en 1945, se ressent également dans le premier roman de K Dick.
Au XXIIIe siècle, une grande loterie décide du « meneur de jeu », du dirigeant pour gouverner l’humanité. Le jeu dit de la « bouteille », sur un rythme qui lui est propre, pas oscillation détermine qui gouverne et surtout combien de temps. Mais le hasard a aussi permis de créer une extension au jeu, l’assassinat du meneur. Ce qui permet par ce truchement de provoquer la « Bouteille » et de la forcer à désigner une nouvelle personne.
Reese Verrick après une longue carrière, sans mourir, se retrouve destitué par la bouteille au profit d’un électronicien du nom de Leon Cartwright. Chose qui n’est pas du goût de Verrick qui va tout mettre en œuvre pour éliminer Cartwright et de passer outre la bouteille pour redevenir le meneur.
Loterie Solaire possède déjà tout ce qui constitue l’univers de Philip K Dick. Bien qu’étant le produit de son éoque, avec notamment ce côté Space Opera assez présent dans son roman, l’auteur se démarque dejà de ses pairs, par sa narration faussement linéaire, son intrigue complexe qui ne trouve qu’une réponse en dernière partie et déjà des questionnements sur l’identité, la robotique, le hasard, la paranoïa ou encore le mysticisme avec ce groupe d’explorateur qui on développé un culte autour du mystérieux Preston. Tout est déjà là, en place, dans une grande cohérence.
Mais il s’agit aussi ici d’un premier roman et d’une œuvre d’ambition et de jeunesse. Philip K Dick et très/trop généreux dans l’univers qu’il propose. L’auteur cherche la perfection et s’attache à proposer un monde complet, avec ses codes, ses règles, son fonctionnement, que tout paraisse cohérent et sans vide.
Critique sur le courant de pensé de l’époque et la Théorie des jeux et du Comportement économique de Neumann et Morgenstern, Philip K Dick se permet quelques réflexions assez poussées et pertinentes sur la nécessité du volontariat et du dévouement de chacun pour que la Théorie du jeux ou n’importe quel autre fonctionnement économique ( en particulier le capitalisme) puisse réellement fonctionner.
« – Peut-être, dit lentement Bentley, devrions-nous être fidèles à un idéal.
Quel idéal ?
L’esprit de Benteley se refusa à formuler une réponse. Ses rouages étaient bloqués. Des pensées inhabituelles, incompréhensibles, se frayaient un chemin jusqu’à une conscience qui ne désirait pas les accueillir. D’où provenait ce torrent ? Il l’ignorait. « C’est tout ce qui nous reste, finit-il par dire. Nos serments. Notre fidélité. C’est là le ciment sans lequel l’édifice entier s’effondrerait. »
Un premier roman réussi. On peut lui trouver quelques petites maladresses dans le rythme ou encore dans sa trop grande générosité. Mais qu’importe. Loterie solaire fonctionne, son histoire est captivante, le dénouement excellemment Dickien. Il n’avait que 26 ans et c’était déjà la promesse du monstre qu’il allait devenir.
J’ai Lu
Trad. Frank Straschitz
254 pages.
Ted.