Au dessous des remous des gouffres supérieurs,
Loin, loin, parmi les fonds, dans la mer abyssale,
Dort de son vieux sommeil, sans rêve ni veilleur,
Le Kraken ; des lueurs très légères s’exhalent
De ses flancs ténébreux ; s’enfle au-dessus de lui
L’antique énormité d’éponges sans mesure ;
Et loin, très loin, dans la lumière qui faiblit,
De tout creux fabuleux, de toute geôle obscure
Sans nombre, gigantesques, des poulpes à bras
Géants font osciller l’engourdissement vert.
Ici posé depuis toujours, il restera
Pesant dans son sommeil sur de gros vers de mer,
Jusqu’à l’ultime feu qui ardera les flots ;
Alors pour être vu par l’homme et l’angelot,
Hurlant il surgira pour mourir à fleur d’eau.
Alfred Tennyson – Le Kraken (1830), Trad, L.E Martin.
Le Kraken est cette immense pieuvre, capable de tuer une baleine ou encore d’engloutir des bateaux. Figure aussi terrifiante que fascinante et qui nourrit aujourd’hui notre pop culture avide de divertissements les plus spectaculaires, elle n’en reste pas moins une figure mythique et mystique qui renvoie loin dans l’Histoire.
Animal popularisé par le poème d’Alfred Tennyson en 1830, cette pieuvre, pardon ce titan aquatique insondable, en sommeil, a l’appétit féroce, figure de toutes nos craintes les plus folles et sans fondement prit genèse, du moins son ancêtre, sous la forme d’un poulpe s’en prenant à une princesse dans le tableau testamentaire d’Hokusai. Une légende nait et va parcourir l’histoire pour exploser dans le poème d’Alfred Tennyson.
Un poème qui va tout changer et plonger le monde moderne dans l’univers de l’indicible, du rampant et d’un monde aquatique aussi inquiétant qu’invisible. Cette fascination naissante va prendre, avec le temps de l’ampleur, de l’assurance et de la grandeur, pour en faire aujourd’hui un produit hollywoodien pour grosse production sensationnaliste. Mais le Kraken, c’est bien plus que ça, c’est plus profond, plus obsessionnel et surtout beaucoup plus métaphysique que ce que l’on veut nous faire croire, et Pierre Pigot l’a compris et a essayé de dompter l’animal, le monstre pardon, et surtout à su rendre un texte cohérent et fascinant sur ce qu’est, à travers l’Histoire, et de nos jours, le Kraken.
« On peu se demander quelle place s’est trouvé le Kraken. Certainement pas celle de bestiole spectaculaire pour scène finale, comme Hollywood a failli nous le faire croire ; mais bien pluôt, par la grâce des intermédiaires qu’il s’est choisi, celui de sceau de l’histoire- et ceci, seul un poète pouvait nous le faire comprendre entre les lignes d’un sonnet. »
Que ce soit chez Victor Hugo, Jules Verne, dans les productions Disney (20.000 lieues sous les mers, Pirates des caraïbes), propulsé jusqu’à l’absurde Choc des Titans. Donnant les bases à d’autres monstres tel que Cthulhu, inspirant des auteurs comme Borges, Le Kraken est devenu une figure, comme le vampire ou encore le Typhon, marquante à la différence près, qu’il inquiète encore plus car : « Le Kraken en dépit de ses incursions dans notre monde, n’est pas fait pour la destruction : il est la bête qui attend la destruction. C’est bel et bien ce qu’il y a de plus divin en lui : Sa froide, glaciale, indifférence. »
L’auteur signe un excellent essai sur cette figure mythique, sorti en catimini chez Puf, il serait dommage de passer à côté pour tous les curieux. Pierre Pigot est historien de l’art. il a déjà publié chez Puf « L’assassinat de Mickey Mouse » et « L’apocalyspe Manga ». Il est également critique littéraire et co-fondateur de l’excellent site Fric-Frac Club et tient également le blog Adoxographe.
Editions PUF,
Perspectives critiques,
156 pages,
Ted.