Le talentueux duo Zidrou-Porcel, auteurs des Folies Bergères, revient ici avec une bande-dessinée médiévale aux teintes sepias présentée sous la forme d’un beau livre à la couverture-vitrail. Mais ne vous y fiez pas, derrière cette présentation raffinée se cache un conte bien cruel…
Le narrateur nous prévient dés le début, cette histoire sera belle. Belle mais triste. Et il n’a pas tort, dés les premières pages on assiste aux affigeants débuts, la naissance du personnage principal, dont la mère accouche dans les geôles d’une froide prison. Belle à en couper le souffle, cette pauvre femme maintes et maintes fois abusée donne vie à un petit être diforme qui se voit attribué le doux nom de Glaviot.
Glaviot est élevé par une la chienne du geôlier. Nourri de son lait, il ne connaitra pendant de nombreuses années que la noirceur des sous-sols et les faibles rayons du soleil passant par les meurtrières. Il grandit en tant qu’assistant du gardien, nourrissant les prisonniers et innocent témoin de leurs lentes agonies. Mais un beau jour, sa seigneurie décide de visiter ses captifs, le voit et décide d’en faire le bouffon de sa fille, jeune femme d’une beauté incroyable dont Glaviot tombera amoureux dés le premier regard.
Cependant voilà qu’un jour, la jeune comtesse est emportée par la maladie. Le petit bouffon ose alors porter un baiser sur les lèvres froides de la défunte, pour lui témoigner tout son amour dans un dernier adieu. Et voilà qu’un miracle se produit: toute la bonté de cet ultime marque d’affection admirative ramène la macchabée à la vie! Car sous les traits repoussants de l’enfant difforme se cache une âme d’une pureté complète, qui en fait un réel faiseur de miracle.
Mais ne vous attendez pas à une amélioration heureuse quant à son destin, car son talent aussi beau soit-il, reste toujours dans l’ombre de ce corps hideux.
Petit à petit, la nouvelle se répend et Glaviot devient le “ressusciteur” agrée du domaine, ses lèvres ayant le pouvoir de redonner vie aux femmes. Mais son amour pour la jeune comtesse verra comme seule récompense d’être banni du royaume, condamné à errer à travers les terres pour ranimer ces gentes dames. Attendant simplement un peu de tendresse, il ne demande en retour qu’un simple baiser de reconnaissance, un tout petit témoin de bonté que personne ne veut lui accorder, trop aveuglés que sont les gens par la vue d’un visage monstrueux.
Ce scénario de Zidrou, empreint d’une mélancholie noire et aux accents doux-amers ne tombe pas dans les clichés du grotesque et reste pudique, décrivant simplement le quotidien d’un pauvre gosse à la recherche d’affection. Basé sur une idée simple: l’apparence est bien trompeuse, il écrit un conte au rythme lent et exempté de toute fioriture inutile.
Porcel joue parfaitement le jeu, à l’aide de son trait réaliste si caractéristique et de sa mise en page à la fois austère et dynamique. Les couleurs sépias plongent encore plus le lecteur dans l’ambiance baroque et souillée par la misère de cette époque, que seuls les yeux pures de Glaviot voient sans jugement ni rancoeur.
Sous fond de bande dessinée classique, Bouffon cache un beau moment de lecture, qui touche par sa simplicité et sa franchise.
“Laissez-moi vous conter la cruelle histoire du bouffon, qui -le sot!- s’énamoura d’une princesse aussi jolie qu’il était repoussant. Laissez-moi vous conter l’histoire d’un baiser. Le plus beau, le plus pur, le plus émouvant des baisers.”
64 pages
Editions Dargaud
Caroline