Où est le pouvoir ? est un ouvrage collectif issu de quelques-unes des contributions apportées au 27ème Forum Philo qui s’est tenu au Mans et organisé par Le Monde en avril de cette même année sous la direction du journaliste Jean Birnbaum.
Terrorisme, manipulations politiques, secrets d’Etat, toute puissance réelle ou fantasmée de la Finance, héroïsation des lanceurs d’alertes, exigence de la “transparence”, politique “politicienne” mets favori des populismes, complotisme sont autant de phénomènes qui invitent tout naturellement les penseurs du XXIème siècle à réactualiser la notion de pouvoir empreinte d’un imaginaire collectif forgé par plusieurs siècles d’Histoire. Confrontés à une critique qui comme Lucky Luke tire d’abord et discute ensuite, pour citer l’exemple cocasse du philosophe et sociologue Bruno Latour, la tâche du chercheur, du journaliste, de l’écrivain(e) n’est pas aisée pour décrypter une société complexe, les rouages de la mondialisation et les paradoxes de nos sociétés démocratiques modernes.
Le postulat à la réflexion posé en exergue de l’ouvrage est que le pouvoir est un “lieu vide”, expression de Claude Lefort dans ses Essais sur le politique (Seuil, 1986). Il est présent partout, dans toutes ses représentations, les institutions, nos gestes quotidiens, et nulle part en ce que le citoyen n’est pas à lui seul une force d’exercice du pouvoir. Face à une posture d’inertie, ou de dogmatisme il convient d’étudier le pouvoir ou plutôt ses formes les plus diverses comme une série de réseaux et d’interdépendances le rendant parfois insaisissable comme un objet unique et identifiable.
L’ouverture de l’ouvrage est laissée aux philosophes et aux sociologues qui décortiquent l’expression, reposent les problématiques nécessaires à l’éclaircissement d’une question maladroite, “où est le pouvoir ?” en ce qu’elle invite une réponse fondée sur la désignation rassurante d’un lieu unique, l’Etat, le peuple, le libéralisme, les médias ou encore contre productive qui réduit le pouvoir de fait au secret et à la manipulation. “Comment sont les pouvoirs ?” se demande la sociologue Nathalie Heinich qui analyse les nombreuses synonymies de la notion (violence, emprise, contrainte, puissance, autorité, influence mais aussi fascination et autonomie). “Comment détecter le pouvoir ? Et quand on l’a trouvé, que peut-on en faire ?” s’interroge le sociologue et philosophe Bruno Latour en introduction rappelant ainsi l’échec de la seule dénonciation d’un pouvoir.
Les penseurs éclaircissent alors tour à tour les réseaux des pouvoirs et les enjeux publics et privés d’un mot, d’un concept qui fait frémir comme il fascine. La réflexion bien construite est partagée entre différents domaines de recherche et éclaire nos préoccupations contemporaines à l’aune des grands penseurs, Foucault, Latour, Machiavel etc. , des phénomènes sociaux et politiques (Nuit Debout, la crise grecque, les Panama Papers, la Nouvelle-Calédonie) et des productions culturelles.
Se pourrait-il, au fond, que la tendance à déceler dans l’ordinaire des catastrophes, la marque et le tracé de puissances occultes soit une façon de nous rassurer, comme des enfants s’inventeraient le croquemitaine pour écarter une hypothèse pire encore – et s’il n’y avait rien sous le lit ? (“Pouvoirs de la fiction : Game of Thrones, Mathieu Potte-Bonneville)
Game of Thrones, la série la plus regardée de par le monde et qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, n’est autre que l’allégorie de ce pouvoir insaisissable dans un univers où chacun pense le détenir, même les fans spéculant sur l’issu d’épisodes aux mains d’une industrie qui fonde son succès sur son droit de vie ou de mort sur ses personnages. Mais si le “lieu vide” du pouvoir génère peur et tentatives infructueuses de rationalisation, c’est aussi la force de l’exercice démocratique dès lors que l’on ne se contente pas de le dénoncer mais que l’on parvient à le comprendre, à se saisir de cette capacité d’agir.
Où est le pouvoir ? un petit manuel qui ouvre l’esprit et permet de prendre de la hauteur sur nos angoisses les plus profondes en cette période de campagnes électorales.
Sous les livres, la plage…
Sonia
Où est le pouvoir ? Ouvrage collectif d’Alban Bensa, Luc Boltanski, Monique Canto-Sperber, Delphine Dulong, Michaël Fœssel, Karine Grévain-Lemercier, Nathalie Heinich, Bruno Latour, Jean-Claude Monod, Mathieu Potte-Bonneville, Myriam Revault d’Allonnes, Émilie de Turckheim et d’Alice Zeniter. Édition publiée sous la direction de Jean Birnbaum. Folio essais (n°621), Gallimard, novembre 2016, 240 p.