« Ç’aurait dû être un journée de cours normale. Mais, en arrivant au collège, Janalice a compris que quelque chose clochait. »
L’histoire se déroule au Brésil, au nord-est de l’Amazonie. Janalice, une adolescente de 14 ans, est piégée par son petit copain qui diffuse une vidéo de leurs ébats sur les réseaux sociaux. Pour la punir comme pour la protéger de cette humiliation publique, ses parents l’envoient vivre chez sa tante à Belém, où les choses continuent de s’aggraver : violée à plusieurs reprises par le conjoint de sa tante, livrée à elle-même et au désœuvrement de la rue, elle finit par être enlevée, en plein jour et dans l’indifférence générale.
« Le premier jour passe. Au déjeuner, du lait tourné. Le ventre qui gargouille. Dîner. Deuxième jour. Elles discutent tout bas. De leurs petits copains. De leur famille. De leur collège. Toutes habitent des quartiers éloignés du centre. Toutes sauf Janalice. Elle se dit que Di et son vieux camé l’ont vendue. Pleure de colère. Et maintenant, qui partira à sa recherche ? A tous les coups, tout le monde se foutra de sa disparition. Son père lui en veut encore. Sa mère, jamais aucune initiative. Sa tante, elle n’y pense même pas. Ce fils de pute de Fenque, son petit copain. C’est peut-être lui. Fils de pute. »
Le titre Pssica, littéralement : malédiction, mauvais sort, annonce d’emblée la couleur. Malédiction, d’abord, d’être une jeune femme dans un milieu machiste et brutal, où l’on peut se trouver du jour au lendemain réduite à l’état de marchandise : convoitée pour sa beauté, Janalice est vendue comme esclave sexuelle, droguée, et bringuebalée jusqu’à l’île de Marajo où elle est utilisée pour contenter les invités des soirées où se réunissent administration et pègre locales.
Malédiction, aussi, pour décrire la trame du roman : un enchaînement d’événements qui précipitent les protagonistes vers leur perte, dans un tourbillon de violence où l’on n’a même pas le temps de se retourner sur les morts. On suit en effet le destin de plusieurs autres personnages, qui croiseront tour à tour la route de Janalice : Manoel, un ancien militaire angolais qui s’est offert une seconde vie de commerçant sur les rives de l’Amazone, se lance à la poursuite éperdue des hommes qui ont sauvagement assassiné son épouse. Preá, fils du chef d’une bande de pirates du delta, se rêve à la tête d’un clan qui veut déjà sa mort. Enfin, Amadeu, policier à la retraite, reprend du service par amitié pour le père de Janalice pour rechercher cette dernière, s’entêtant dans une enquête sans espoir.
C’est dans un style cru et sans esthétisme que l’on suit la trajectoire de ces protagonistes. Les phrases, brèves et tranchantes, s’enchaînent à un rythme débridé – à l’image exacte des actions des personnages et de leurs conséquences. Les dialogues sont intégrés directement dans la narration, accentuant l’impression du lecteur d’être en apnée tout le temps du récit. Edyr Augusto dépeint la violence de manière crue, sans fards mais sans voyeurisme, telle qu’elle est.
Ainsi, la narration de Pssica semble parfois tenir de l’hallucination, du cauchemar. Pourtant, elle s’ancre dans un tableau très réaliste de la région natale de l’auteur, le Para, à la frontière du Brésil et de la Guyane française. Une zone frontalière de non-droit où l’absence de régulation des marchés alimente la criminalité et les trafics en tout genre, la corruption de l’administration et des politiques, les inégalités et la soumission des populations les plus pauvres.
Rien de magique ni de surnaturel, au fond, au mauvais sort dont est victime le personnage de Janalice, fil conducteur de cette histoire. Rien qu’un contexte de violence sociale exacerbée qui fait que la vie peut basculer à tout instant. Dans ce roman d’une noirceur impressionnante, somme toute peu plaisant mais extrêmement marquant, Edyr Augusto parvient remarquablement à faire ressentir, dans toute sa brutalité et son injustice, le poids d’un déterminisme implacable sur les êtres.
Pssica est accompagné d’une playlist composée par l’auteur, que l’on peut écouter sur le site des éditions Asphalte.
Pssica, Edyr Augusto.
Traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos.
Asphalte éditions, février 2017.
Anne.