Deuxième publication de la toute jeune collection « Vice Caché », après un premier titre « Femme intérieure » d’Helen Phillips, obsédant et réussi ( lisez-le, il mérite toute votre attention!) (lisez aussi les livres de la précédente collection « LOT49 » que des pépites!), voici Affamée.
Écrit par Raven Leilani, Affamée a reçu un succès critique lors de sa sortie aux États-Unis et a même fini sur la très “short-list” des meilleurs romans de 2020 selon Barack Obama (Himself), Affamée débarque en France avec l’excellente traduction de Nathalie Bru, qui comme à son habitude apporte toute la subtilité nécessaire pour nous faire totalement plonger dans l’œuvre.
Affamée, c’est l’histoire d’Edie, une afro-américaine, la vingtaine, bossant dans l’édition et peintre lors de ses temps libres. Ayant une vie sexuelle assez débridée, mais sentimentalement creuse, elle se retrouve un jour, par le biais d’une appli à rencontrer Eric. Eric est un homme blanc plus âgé qu’elle, et virtuellement l’histoire devient rapidement torride. Une rencontre se met en place avec cet homme au mariage « ouvert ». Mais Edie va également faire la rencontre de sa femme et de leur fille adoptive, et de péripétie en péripétie finir par vivre avec eux. D’une rivalité entre deux femmes et de deux générations, dans les enjeux de séduction et d’appartenance, va naître une cohabitation singulière et en dire plus sur notre époque et ses enjeux. Trois femmes pour trois regards sur notre société et trois périodes de la vie que l’on suit avec un attachement féroce.
Questionnant par moments la couleur de peau, et dans une plus large mesure le sexe, plongeant dans les tourments des rapports humains, des rivalités et des oppositions, l’œuvre s’empêche de tomber pour autant dans les clichés ou la facilité. Mais qu’est-ce que finalement « Affamée » ? Un roman d’une autrice Afro-Americaine ? Doit-on s’attendre aux codes inhérents qui accompagnent cette catégorisation ? Une fiction féministe ? Une critique sociale et sociétale sur notre époque ?
Edie symbolise tout ça et bien plus encore. Elle incarne et parle de sa génération, de son époque et du monde qui reproduit les mêmes schémas tout en courant à sa perte vers un progrès dénué de sens.
Edie, c’est cette jeunesse qui crève la dalle, cet ascenseur social inexistant, les injonctions aliénantes et contradictoires, les envies réfrénées et les secrets que l’on cache ou que l’on expose par maladresse. Affamée, c’est le roman des jobs à vélo, des fins de mois tendus, des rêves bafoués et des illusions perdues, mais que l’on garde contre soi (ne sait-on jamais). C’est aussi la place de la femme noire dans notre société, de son intégration, l’acceptation qu’une femmes noires puisse avoir des envies et des prétentions et se découvrir beaucoup plus complexe et nuancé que ce que les médias et notre culture “pop” laisse penser.
Invoquant les figures archétypales (l’enfant, la pute et la mère), Raven Leilani aborde la question du patriarcat dans un regard féminin criant de vérité. Territorialiste et colérique, le seul homme se retrouve finalement assez effacé dès, et les constructions des personnages féminins prend plus de profondeur et d’intensité, quand sa présence ne se fait plus oppressante et central.
Revenons à l’œuvre et résumons, Affamée est un magnifique premier roman, un roman de l’urgence et de la rage (celle de vivre et de s’accomplir coûte que coûte). Un roman parlant d’une jeune femme noire dans les USA de nos jours. Mais un roman parlant aussi de notre époque et de notre société. Un magnifique portrait autant drôle que touchant, autant saisissant que prenant.
Le Cherche Midi,
Vice Caché,
Trad. Nathalie Bru,
320 pages,
Ted.