«Ne demande pas ton chemin à quelqu’un qui sait car tu ne pourras pas t’égarer»
La bibliothérapie est méconnue et sa pratique quasiment inexistante en France. C’est une «forme de soin thérapeutique qui consiste à remplacer les médecins par des auteurs et les ordonnances par des livres».
La bibliothérapie créative repose sur la capacité du livre à nous toucher, à nous transformer. Il n’est pas simplement question ici de la détente ou du bien-être que peut nous apporter la pratique de la lecture mais de ce que le texte en lui-même nous apporte. Comme l’a écrit Kafka : «On ne devrait lire que des livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? Pour qu’il nous rende heureux (…) ?».
La médiation thérapeutique par les livres est difficile car tout est dans la subjectivité. Il ne s’agit pas de prescrire des livres comme on prescrirait un médicament, il n’y a pas d’œuvre type correspondant à une maladie, un mal-être, un traumatisme… On parle ici de littérature (tous genres confondus) parce qu’elle a un fort potentiel de subjectivité et donc de créativité (l’inverse est tout aussi vérifiable), contrairement aux livres de “self-coaching” ou de psychologie de masse. Elle seule a la capacité de nous confronter à nous-mêmes, de nous prendre aux tripes, de nous transcender. Parce que seul «un bon livre sait nommer ce qui vous arrive…»
Régine Detambel, kinésithérapeute et écrivain, se consacre depuis plusieurs années à la bibliothérapie et nous montre, en s’appuyant sur des écrivains comme des thérapeutes, en quoi les grandes œuvres littéraires sont des remèdes capables de résoudre les problèmes personnels. Sans céder à la “toute-puissance” de la médecine, ni à la vague des ouvrages de développement personnel grand public, elle nous montre en quoi un texte – par sa forme, son rythme, la multiplicité du sens des mots, mais aussi par son origine, son écriture et par la création d’un objet-livre – est capable de nous transformer. À tout âge et pour tout traumatisme, un livre peut être la source d’un renouveau, d’une réinvention de soi.
«On se déchiffre en se nourrissant et en se construisant, on renouvelle, on recompose, on reconstruit les représentations qu’on a de sa propre histoire, de son for intérieur, de son rapport au vaste monde.»
Un livre qui nous transforme est un livre qui touche à notre subjectivité, ce qui est le but d’une thérapie : nous faire prendre conscience de nous-même, nous faire évoluer, nous extirper de notre malaise. La littérature, notamment par sa constitution métaphorique, peut, plus que toute autre forme d’écriture, interagir avec notre état d’âme et notre vision du monde.
«Une métaphore a le pouvoir de transformer les sensations et les états traumatiques en représentations évolutives, transformables et combinables avec d’autres. Par son action on peut réintroduire la créativité là où le traumatisme l’avait pétrifié (…).»
Ainsi, l’écho dissonant, le reflet flou, les métaphores provenant des œuvres de fiction… auront plus de pertinence qu’un texte trop proche de notre réalité, de nos troubles. La littérature remodèle la réalité mais n’en est pas moins proche de notre vérité, et c’est en cela qu’elle a un effet thérapeutique, elle nous offre une issue par mimétisme.
«Le texte seul n’existe pas. Le sens est aussi dans la forme.»
Au-delà du sens des mots, la forme joue aussi dans les effets que peut avoir sur nous la lecture. Si la bibliothérapie rappelle l’importance de traiter une maladie dans son ensemble corps-esprit, il ne faut pas négliger l’appréhension du livre dans son ensemble texte-objet.
Si la liseuse a des qualités pragmatiques, elle se révèle être un piètre objet thérapeutique – parce qu’un texte lu sur écran glisse sur nous plus qu’il ne nous imprègne. Une liseuse ne fait qu’effleurer en nous, comme nos doigts sur l’écran, ce qu’un livre peut toucher, comme les pages que l’on tourne. «[le papier] est un support de relation à soi-même, tandis que les écrans sont un support de relations aux autres»
La lecture, comme l’écriture, a un rapport au corps autant qu’à la conscience. Les idées prennent leur source intérieurement mais viennent en marchant. L’interdépendance du corps et de l’esprit est indéniable et toute approche thérapeutique se doit de le prendre en compte.
Ce que nous dit Régine Detambel, c’est que si la médecine traite un symptôme, la bibliothérapie peut quant à elle agir sur ses causes ou ses conséquences psychologiques voir même physiologiques. Le médecin soigne le corps, pas la subjectivité du patient. La lecture peut donc compléter le soin, dans son rapport au corps comme à la conscience. En apaisant l’esprit on apaise les tensions du corps et inversement. Il va sans dire que la bibliothérapie reste aléatoire par la non reproductibilité de ses effets d’une personne à une autre mais n’en est pas moins efficace que d’autres approches thérapeutiques.
Lire : une sculpture de soi
«Le texte littéraire travaille à la restauration du lien avec autrui. La lecture répare, elle qualifie, elle affirme, elle confirme, elle projette dans le futur ou dans le passé, elle sublime, elle explore, elle identifie, elle éduque, elle crée. Le livre est ce lieu psychique qu’on appelle “espace transitionnel” (Dr. W. Winnicott), où se jouent les échanges entre le monde psychique (le for intérieur) et le monde extérieur.»
N.B. : Outre le livre de Marc-Alain Ouaknin (Lire, c’est guérir) que Régine Detambel cite à plusieurs reprises, l’auteur s’est également inspirée du livre de Michèle Petit (Éloge de la lecture) mais sans la citer nommément lors des passages concernés.
Pauline