Depuis « Trois fermiers s’en vont au bal », les éditions Cherche Midi par le biais de la prestigieuse collection Lot 49 nous invite à parcourir l’univers d’un des auteurs les plus fascinant et foisonnant de la littérature américaine. Son précédent roman « Orfeo » était un palier dans sa carrière, peaufinant son style et s’enfonçant dans des limbes moins intimistes et plus universalistes, j’attendais ce nouveau roman avec impatience, surtout en ayant lu quelques articles lors de sa parution aux Etats-Unis qui furent unaniment, criant presque au génie.
Ce genre d’article c’est souvent à double tranchant, on a beau apprécier le travail d’un auteur et deviner une puissance créatrice latente mais pas totalement exprimée, nous ne sommes pourtant pas à l’abri d’un texte inabouti ou raté, mais défendu par des journalistes plutôt consensuels.
Alors quand j’ai reçu ce nouveau Richard Powers, j’étais dans un état d’excitation fébrile, partagé entre l’envie de me jeter tout de suite dessus et le dévorer ou faire preuve de retenu et le parcourir avec un œil critique, ce que je finis par faire. Il m’aura fallu du recul et des temps de pause pour comprendre et assimiler ce roman monde, intégrer le propos, les personnages, le rythme, le style, l’écriture puis réfléchir dessus, laisser ce décanter pendant un moment avant de poser par écrit cet article.
Le problème avec mon expérience de lecteur est que j’aime ce qu’écrit cet auteur, j’aime son écriture, et les thèmes qu’il aborde, ses livres me parlent, me reste longtemps en tête et dans le cas d’Orfeo me hante bien longtemps après sa lecture. Trêve de préambule et rentrons dans le sujet : L’Arbre Monde.
Il s’agit ici de son neuvième roman traduit en français, et cette fois-ci par Serge Chauvin, le critique de cinéma et traducteur de Zadie Smith, Colin Whitehead ou encore Jonathan Coe. Un traducteur plutôt rompu à la tâche et dont la réputation qui n’est plus à prouver, ce qui est bien la moindre des choses compte tenu de la densité et des subtilités de ce roman.
L’histoire prend racine avec neuf protagonistes, aux parcours et vécus différents les uns des autres. Il y a le descendant d’une famille d’immigré norvégien ayant grandi à l’ombre d’un châtaigner familial. Une fille d’immigré chinois, ayant vécu avec deux sœur et un mûrier dans son jardin, Un jeune surdoué en passe de devenir sociologue, un couple qui s’épanouie dans des rôles joués au théâtre, Un ancien militaire qui fut sauvé miraculeusement par des arbres, Un paraplégique informaticien qui développe Le jeu vidéo le plus important de son époque, une biologiste qui vit dans la forêt parmi les arbres et une jeune femme qui après un accident change totalement.
Mais revenons sur la biologiste, Patricia Westerford, elle est le fil conducteur du roman, une sorte d’alter ego de l’auteur. Cette dernière est à l’origine d’une découverte fascinante sur le fonctionnement des arbres…Ils sont vivants, intelligents, organisés et s’adaptent suivant les périodes. Une découverte qui va lui coûter cher dans ses jeunes années, mais qui va être un électrochoc pour certaines personnes et provoquer un activisme pacifiste et persistant dans un monde ou le profit et la consommation sont rois.
Le roman s’articulant en quatre parties ( Racine, Tronc, Cime & Graines) se veut multiple voir protéiforme. L’ingéniosité de l’auteur vient aussi du fait que Richard Powers a osé dissocier la présentation et le parcours des personnages du reste l’histoire. La première partie, Racine, est une sorte de présentation des protagonistes par chapitre ce qui donne une profondeur supplémentaire lorsque nous arrivons à la seconde partie, Tronc, de l’arbre monde ! Ainsi l’auteur s’étant détaché du besoin de présenter et de créer un fond à chaque personnage, peut se permettre d’aller rapidement au cœur de son propos.
La nature, le rapport de l’homme à son environnement, les enjeux financiers, les égarements humains et le besoin de se reconnecter à sa planète sont les thèmes abordés dans se long roman monde, un livre de questionnement, un roman sur la frustration de ne pas voir le monde changer, un texte sur la nécessité de retrouver sa place. Mais ce que nous observons de loin dans la partie Tronc et qui nous explose à la figure sur la suite du texte est le rôle de l’arbre.
« Nous autres scientifiques, on nous apprend à ne jamais chercher l’humain dans d’autres espèces. Alors on insiste pour que rien ne nous ressemble ! Jusqu’à très récemment on ne voulait même pas accorder une conscience aux chimpanzés, encore moins aux chiens ou aux dauphins. Mais seulement à l’homme, vous comprenez : seul l’homme pouvait savoir assez pour vouloir des choses. Mais croyez-moi : Les arbres veulent quelque chose de nous, comme nous avons toujours voulu quelque chose d’eux. Ça n’a rien de mystique. L’ « environnement » est vivant : C’est un réseau fluide et changeant de vies animées d’un but et interdépendantes. L’amour et la guerre ne peuvent pas être dissociés. Les fleurs façonnent les abeilles autant que les abeilles façonnent les fleurs. Des baies peuvent être en rivalités pour être mangées plus que les animaux ne rivalisent pour manger les baies. Un acacia épineux produit des friandises aux protéines sucrées pour nourrir et asservir les fourmis qui les protègent. Des arbres fruitiers nous manipulent pour qu’on dissémine leurs graines, et ce sont les fruits mûrissants qui nous ont fait accéder à la vision en couleurs. En nous apprenant comment trouver leur appât, les arbres nous ont appris à voir que le ciel est bleu. Notre cerveau a évolué pour déchiffrer la forêt. Nous avons façonné et été façonné par les forêts depuis bien plus longtemps que nous ne sommes des Homo Sapiens. Les hommes et les arbres sont des cousins moins éloignés que vous ne croyez Nous sommes deux créatures écloses de la même graine, parties dans des directions opposées, et qui s’utilisent mutuellement dans un monde partagé. Et ce monde a besoin de toutes ses parties. Et pour notre part nous avons un rôle à jouer dans l’organisme qu’est la Terre. »
L’arbre-Monde a un seul héro, un seul personnage clé, qui s’impose auprès de chacun des protagonistes, à n’importe quelle période et reste imperturbable… l’arbre. C’est la véritable clé de voûte, l’espèce dominante dans le texte de Richard Powers, d’une sagesse et d’une intelligence infini. D’un propos écologiste qui pourrait presque paraître utopiste ou illusoire, le lecteur bascule dans un monde qui est le sien mais sous une autre lumière. Un monde où par le biais des mots de l’auteur nous comprenons les arbres, nous les voyons naitre, évoluer, grandir puis mourir, nous les voyons organiser le vivant sur Terre mais aussi nous nous rendons compte du mal que nous leur infligeons.
« Les arbres sont au cœur de l’écologie, et ils doivent enfin être au cœur de la politique humaine. Tagore disait : Les arbres sont l’effort incessant de la terre pour s’adresser au ciel qui écoute. Mais les hommes…oh, mon Dieu… Les hommes ! Les hommes pourraient être ce ciel auquel la Terre essaie de s’adresser. »
Richard Powers signe avec L’arbre Monde un texte fort et conscient ! On ne peut pas parler d’engagement ou d’œuvre politique, car il s’agit de bien plus que ça. A l’heure où tout le monde tire la sonnette d’alarme quant à l’urgence de changer notre mode de vie, d’être plus responsable et moins égoïste, ce livre apparaît comme un repère monolithique quant aux possibles et à la coexistence entre espèce.
Une œuvre essentielle et très certainement son roman le plus abouti et percutant. Un livre qui déborde d’humanité et de générosité, un texte à la gloire du vivant, mais également un roman dur et très juste dans les propos abordés. Une lecture indispensable pour tous les amateurs de livre, de fiction et ou encore pour toutes personnes qui veulent voir les choses différemment.
« Savoir « de façon certaine », ça n’éxiste pas. Les seules choses fiables, c’est l’humilité et un regard attentif »
Vous pouvez retrouver l’interview de Richard Powers par l’excellent Olivier Saison ici !
Le cherche midi,
Trad. Serge Chauvin,
485 pages,
Ted.
Richard Powers est un écrivain exigeant pour lui-même et pour ses lecteurs. L’Arbre Monde est une oeuvre magistrale par sa construction, son écriture, belle et poétique et surtout pour son message universel qui nous appelle à nous indigner et à nous engager.
On peut rappeler le titre original : The Overstory et s’interroger sur le choix de sa traduction.
Je l’ai savouré et recommandé.
J’ai noté que dans un tirage récent l’éditeur a caché par un bandeau rouge intégré au bas du livre, singeant le le bandeau, qui traditionnellement entoure le livre mais s’en détache. C’est moche ! Je déteste cette initiative d’altérer ainsi la couverture.
Votre article me donne l’occasion d’évoquer ici l’arboretum de Nogent sur Vernisson (Loiret) : une collection d’arbres unique en Europe qui malheureusement ne dispose plus d’assez de budget de la part de l’ONF pour un entretien digne de sa richesse! Patricia serait merveilleuse pour sauver cet arboretum et d’autres forêts aussi !
NB : attention aux très nombreuses fautes d’orthographe et de grammaire dans votre cet article qui en ternissent la spontanéité.
bel article auquel je souscris totalement, on ne saurait mieux dire, bravo… je suis déjà en train de le relire