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RJ Ellory : le polar à taille humaine.

Préface

Enfant, je n’arrivais pas à trouver ma place. Absolument pas. Je n’excellais ni dans mes études ni en sport et je me débattais avec le concept même de confiance en soi. Je me souviens que ma grand-mère m’avait demandé si je feignais de ne pas entendre mes interlocuteurs au téléphone afin de ne pas leur parler. Me faire des amis m’était impossible, les filles semblaient provenir d’un autre monde et je me demandais quel serait mon avenir. Je ne me sentais pas à ma place, comme si j’avais été abandonné dans un monde étranger auquel je n’appartiendrais jamais.
La seule chose qui attirait mon attention, c’était les arts. J’adorais la musique, j’aimais la peinture et la photographie, et je m’imaginais faire quelque chose dans ce domaine. Un jour de novembre 1987 j’ai eu une conversation avec quelqu’un à propos du livre qu’il lisait. Il parlait de sa lecture avec beaucoup de passion et d’enthousiasme. Il était captivé. Il ne voulait rien faire d’autre que lire ce livre. Il savait qu’il le terminerait et redoutait ce moment.
C’était comme si une petite lumière s’éclairait dans mon esprit. C’était ça que je voulais faire. Je voulais écrire une histoire qui déclencherait ce genre de sentiments chez quelqu’un.
Je me suis lancé dans l’écriture ce soir-là, et en six ans j’avais écrit vingt-deux livres. J’ai envoyé ces manuscrits à plus de cent éditeurs aussi bien au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, mais la réponse était toujours la même : « Nous adorons votre écriture, mais ne pouvons publier un Anglais qui écrit des livres américains ! ».
En juillet 1993, j’ai abandonné au milieu de mon vingt-troisième roman. Je n’ai rien écrit durant huit ans. J’ai continué la photographie et la musique mais toujours une petite voix dans ma tête me disait que j’étais fait pour écrire des histoires.
J’ai repris juste après le 11 septembre. Ce qui m’a poussé à reprendre ce jour-là est une autre histoire, mais c’est là que j’ai commencé mon vingt-quatrième roman, Candlemoth. Ce roman a été publié en Grande-Bretagne en 2003 et sortira en juin en France sous le titre Papillon de nuit.
Quinze années séparent le premier mot que j’ai couché sur papier de la lettre qui m’a appris que mes romans seraient publiés. Je ne crois pas que la chance ait joué un rôle quelconque dans cette histoire. Je ne crois pas en Dame Fortune et je n’ai aucune confiance en les décisions d’une maîtresse si inconstante. Je pense que si vous dédiez assez de volonté et d’énergie à votre but, vous pouvez le réaliser. Pas de façon déliée ou superficielle, pas de « pensez-y assez fort et cela arrivera ». Non je parle ici de travail, d’acharnement. Je crois en ces valeurs et je pense que si mon enfance m’a appris quelque chose, c’est qu’attendre que les choses se produisent d’elles-mêmes ne vous garantit rien d’autre qu’attendre.
Et nous voilà. Mon premier roman publié sera le septième publié en France. C’est comme un premier amour, comme un premier-né même. Il a complètement changé ma vie, et j’espère que vous l’apprécierez.
Ceux qui m’ont déjà entendu parler de la France vous confirmeront son importance pour moi. Je suis heureux d’y revenir plusieurs fois cette année pour vous rencontrer, vous parler et partager notre amour commun pour la littérature, la musique et la vie.
Merci pour votre camaraderie et votre soutien.
C’est tout ce qui compte pour moi.

RJ Ellory

Pourquoi analyser l’œuvre de RJ Ellory ? Pourquoi particulièrement cette série de romans ? Tout d’abord parce que je les aime profondément. Voilà c’est dit. Mais la raison principale consiste en une apparente séparation de l’œuvre en deux catégories distinctes. On trouve d’un côté des romans situés dans un cadre très urbain, qu’il s’agisse de New York, Los Angeles ou La Nouvelle-Orléans. On pourrait leur opposer une série de polars ayant pour décor les campagnes américaines, dans des états aussi divers que la Géorgie, le Texas ou le Mississippi. Mais ce serait oublier que de nombreux points communs permettent de relier tous ces écrits.

Courte biographie

Roger Jon Ellory naît le 20 juin 1965 à Birmingham, au Royaume-Uni. Son père quitte le domicile familial avant sa naissance et sa mère décède alors qu’il n’a que 7 ans. Sa grand-mère, de santé fragile, décide de le placer dans un orphelinat. C’est là qu’il prend goût à la littérature et la création artistique en général. Il décide alors d’étudier la musique et la photographie. A 16 ans il abandonne ses études et décide de rentrer chez lui pour vivre avec sa grand-mère. Celle-ci décède quelques semaines seulement après le retour d’Ellory. Il vit alors seul avec son frère dans une maison où l’eau et l’électricité ont été coupées. Ils se décident à voler afin d’assurer leur subsistance. Ils finissent cependant par se faire attraper après un vol dans un couvent. Après avoir passé 3 mois en prison, RJ Ellory sort et décide de monter un groupe de rock. Alors que le groupe se construit un studio d’enregistrement dans la maison familiale toujours privée d’électricité, le bassiste décède d’une crise d’asthme durant la nuit. Il décide de changer totalement de vie. Il se consacre à l’enseignement de la lecture. Frappé par l’obstination que montrait un élève à lire toujours le même livre, il se décide ensuite à se lancer dans l’écriture. Il finit par faire publier son premier roman, Candlemoth (Papillon de nuit) après avoir dans un premier temps essuyé près de 600 refus de 120 maisons d’édition différentes ! Mais il est temps maintenant de nous plonger dans l’œuvre de l’auteur.

Son œuvre

Polars urbains contre polars ruraux

RJ Ellory a produit 3 polars dont le cadre principal est une métropole américaine : Vendetta (2005, 2009)1 , Les Anonymes (2008, 2010) et Les Anges de New York (2010, 2012). Chacun de ses livres est attaché à une des « institutions » ayant marquées l’histoire des États-Unis. Vendetta se concentre sur la mafia via la vie d’un de ses hommes de main. Les Anonymes expose les méthodes quelques fois douteuses de la CIA. Les Anges de New York soulève lui un pan peu reluisant de l’histoire de la police new-yorkaise. RJ Ellory s’attache dans ces livres à ne jamais faire preuve de manichéisme. Tous ses personnages sont pris isolément et ne peuvent être assimilés à l’organisation à laquelle ils appartiennent. Chaque organisation dispose d’un prisme d’analyse qui permet de rationaliser leurs actions, qu’elles nous paraissent dans un premier temps bonnes ou mauvaises. Le prisme d’analyse de la mafia est le code de l’honneur, celui de la CIA est la protection des intérêts américains alors que celui de la police est la défense des citoyens. Bien sûr tout n’est pas aussi simple et tous ces prismes sont pervertis. Ceux-ci ne sont en plus pas forcément ceux des personnages principaux, par exemple Ernesto Perez dans Vendetta ne juge ses actions que par le statut social qu’elles lui permettent d’acquérir ou de conserver. De plus, dans tous ses romans, RJ Ellory insiste lourdement sur la perte d’âme et d’identité qui affecte toutes ces villes au fil du temps. On est cependant en droit de se demander si cette métamorphose n’est pas autant à imposer aux yeux qui observent qu’à l’objet de l’observation.
Trois autres récits de la bibliographie de l’auteur trouvent place dans des lieux autrement plus bucoliques. Que ce soit la Géorgie où débute Seul le Silence (2007, 2008), le Texas qu’arpentent les jeunes héros de Mauvaise Etoile (2011, 2013) ou le Mississippi lourd et poisseux du récent Les Neuf Cercles (2013, 2014), on est bien loin des gratte-ciels et des tours qui peuplent les autres romans d’Ellory. On en est également loin dans les thèmes abordés, puisque les institutions dont nous parlions dans des villes où la police est représentée par un shérif avec un voire deux adjoints et dont la mafia et la CIA se désintéressent totalement. La communauté dans ce cadre rural est d’autant plus mise en avant. Que ce soit le groupe d’enfants présent dans Seul le Silence ou les anciens du village faisant office d’adjoints officieux et de centre de renseignement pour le héros dans Les Neuf Cercles, l’importance de l’entraide est prépondérante. C’est aussi le cadre dans lequel Ellory s’attache le plus à l’enfance. Tous les enfants de ces livres sont confrontés à des difficultés plus importantes et des choix plus déterminants que la plupart des adultes.
Malgré ces deux cadres qui semblent totalement antagonistes, une certaine unité se dégage de l’œuvre d’Ellory. Deux points communs notamment se dessinent.

Des gens, des pères

Le premier point qui apparaît comme fondamental pour Ellory, c’est son amour pour ses personnages. Il y a très peu de figures « fantomatiques » n’apparaissant que brièvement dont on ne saurait rien. Leur caractérisation est poussée à un point rarement vu. L’exemple le plus frappant dans la bibliographie de l’auteur est Mauvaise Etoile dans lequel certains paragraphes, voire des pages entières, servent à introduire des témoins ou des victimes des agissements des personnages principaux, mais même de leurs faits les plus anodins (comme le gardien de sécurité du drive-in, qui voit un des protagonistes s’enfuir, mais qui est présenté sur plusieurs pages avant ça). On peut également citer les victimes dans Les Anonymes, ou certains personnages totalement annexes dans Les Neuf Cercles. Tous ces personnages permettent d’avoir des points de repère dans son œuvre et de s’en remémorer longtemps après la lecture.
L’autre trait d’union qui se dessine entre les œuvres de RJ Ellory est l’influence énorme et néfaste du père. Qu’il s’agisse d’un meurtrier (comme dans Vendetta ou Mauvaise Etoile), qu’il soit alcoolique (encore Vendetta) ou qu’il soit corrompu (Les Anges de New York), les pères sont souvent destructeurs pour l’évolution de leurs enfants. Cela résulte en une série de traumas chez la plupart des personnages principaux de l’auteur que l’on ne peut leur reprocher, étant donné le modèle qu’ont constitué pour eux ces pères au comportement pour le moins perturbateur.

Il m’aurait été possible de m’attarder encore de longues heures sur le cas d’Ellory pour exposer mes hypothèses sur ses écrits. Mais le plus simple était encore de demander directement au responsable. C’est à l’occasion des Quais du Polar, à Lyon, que j’ai pu interviewer l’auteur le 28 mai 2015.

Interview

DSC_1384Premièrement, et je pense que vous avez déjà souvent répondu à cette question, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?
Je pense que, depuis l’enfance, je voulais exercer une activité créative. Je voulais être dans le domaine artistique, que ce soit la peinture, la musique ou la scène. Je n’avais jamais pensé à l’écriture. J’ai eu l’occasion d ‘étudier la photographie et la musique à l’école puis, en 1987, j’ai eu une discussion avec un inconnu en train de lire un livre de Stephen King. Il parlait de ce livre avec tant de passion et d’enthousiasme ! A ce moment-là, je me suis dit que je voulais susciter les mêmes émotions chez les gens. Le FBI a un concept appelé dynamique situationnelle. Eh bien c’était ce moment dans ma vie où tout était réuni pour me pousser à écrire. Le jour-même, le 4 novembre 1987, j’ai commencé à écrire et j’ai écrit 22 livres en 6 ans. Je les ai envoyés à de nombreux éditeurs et la réponse était systématiquement « Un Anglais ne peut pas écrire de romans américains ! Nous l’aimons mais ne le publierons pas. » J’ai donc arrêté d’écrire en 1993. 8 ans plus tard, le lendemain du 11 septembre, j’ai repris et j’ai écrit Papillon de Nuit, mon premier livre publié en Angleterre en 2003. C’était ma réaction au 11 septembre, pour dévoiler ce qu’il y a de mal mais aussi de beau aux États-Unis. Mais si j’ai commencé à écrire, c’est plus par accident, comme un hasard de la vie et pas quelque chose de prémédité.
Y a-t-il une influence que vous vous reconnaissez pour vos écrits ?
Les films. Beaucoup plus que les livres. Quand j’avais 7 ans, ma mère est morte. Mon père était parti avant ma naissance et ma grand-mère devint ma tutrice. Elle était professeur de danse classique et passionnée par les comédies musicales des années 40 et 50. Nous avions l’habitude de regarder des films ensemble : Hitchcock, Edward G Robinson, Cary Grant, Audrey Hepburn, Bogart et Bacall. Des films comme Le Trésor de la Sierra Madre, Assurance sur la Mort. Des classiques du film noir du Grand Hollywood. Et ce qui m’a le plus impressionné, c’est qu’il y a toujours des personnages forts, principalement les femmes. Et les dialogues étaient superbes. Ces films reposaient principalement sur les dialogues, pas sur les explosions ou les effets spéciaux. J’ai été fasciné par l’écriture et je pense mes romans comme des films, bien qu’ils soient trop longs pour être adaptés !
Effectivement en préparant le dossier j’ai relu Vendetta et je me suis dit qu’il ferait un bon film… de 6 ou 7 heures !
Quand je l’ai écrit, j’imaginais Pérez joué par Andy Garcia, qui est un acteur cubain comme le personnage. Dans Les Anges de New York, j’imaginais Frank Parrish joué par Viggo Mortensen ou Casey Affleck qui jouent très bien les individus brisés. Un jour les étoiles s’aligneront et un de mes livres sera adapté.
Pourquoi l’intrigue de tous vos livres se déroulent aux États-Unis ?
Un romancier russe a dit : « Habite dans une ville pour une journée, écris-en un roman. Un mois, fais-en un chapitre. Un an deviendra une page. » Tout devient familier dans un endroit qu’on connaît. En tant qu’étranger on a plein de premières impressions que l’on retranscrit par l’écriture. Si vous restez ne serait-ce qu’une semaine, vous cessez de voir ces choses. Enfant, j’ai lu beaucoup de littérature américaine, vu beaucoup de films et de séries américains (Starsky et Hutch, Hawaï Police d’Etat, Mission Impossible, Les Rues de San Francisco, Kojak…). J’ai baigné dans la culture américaine. Je suis un grand fan de blues, de jazz et de country, des musiques originaires de Chicago, de La Nouvelle-Orléans de New York ou de Louisiane. J’ai reçu de la culture américaine en intraveineuse. Et j’ai lu Steinbeck, entre autres. Il y avait quelque chose dans le langage et dans l’atmosphère.Quelqu’un m’a demandé un jour le meilleur conseil que je pourrais donner à quelqu’un qui voudrait se lancer dans l’écriture. Je lui ai répondu qu’écrire un roman que les autres aimeraient était ce qu’il pouvait faire de pire. Il faut écrire ce qu’on aimerait lire. Je ne pense pas qu’on choisisse d’être auteur, musicien ou journaliste. On le fait par passion. C’est comme ce que tu fais pour ton site. Moins tu veux faire de l’argent avec ce que tu fais, meilleur est le résultat. Je ne veux que divertir les gens et donc me divertir. Les États-Unis sont comme 50 pays différents, qui penseraient et parleraient tous différemment. C’est comme un Empire Romain devenu fou. Le pire et le meilleur de l’humanité sont contenus dans ce pays. Je peux écrire sur la CIA, le FBI, Las Vegas, la mafia, le Ku Klux Klan, les Kennedy, Hollywood, Marilyn Monroe. Ils ont des policiers armés, ils ont la peine de mort, tant de problèmes qui peuvent susciter des réactions chez le lecteur.
NeufCerclesPour préparer vos livres, vous rendez-vous sur place ?
J’y vais aussi souvent que possible. Dans un mois, j’y vais cinq semaines pour des recherches et voir des amis. J’en reviens toujours surpris par combien ce pays peut être fou, mais aussi avec de nouvelles idées, de nouvelles inspirations. C’est un bel endroit à visiter, mais aussi pour y vivre.
Vous pensez vous y installer ?
Non je pense m’installer ici. Si je dois déménager, j’emménagerai en France. J’ai de nombreuses affinités avec la culture française et les gens ici en général. J’adore ce pays. Je viens aussi souvent que possible. Je reviendrai en France pour la promotion de Papillon de Nuit en juin puis en août pour la sortie du roman Les Assassins. Je pense ensuite revenir en fin d’année pour faire quelques séances de dédicaces et d’autres interviews.
Je voulais revenir sur un point que je trouve essentiel dans votre œuvre, à savoir la place et l’importance accordées à vos personnages. Même les moins importants ont parfois droit à 5 ou 10 pages de description. Pourquoi ?
Je veux que mes lecteurs vivent le livre quand ils le lisent, qu’ils se sentent comme se sentent les personnages et qu’ils aient l’impression de quitter de vieux amis en finissant le livre. En tant qu’auteur de polar la question que l’on se pose systématiquement est comment créer de la tension. On m’a toujours dit que si l’on crée de l’empathie entre les personnages et le lecteur, celui-ci va continuellement se demander ce qui va arriver ensuite. C’est bien mais je pense que c’est un peu plus profond que ça. Vous voulez savoir ce qui va arriver à une personne en particulier. Dans Mauvaise Étoile, je parle de la vie de beaucoup de gens, dont les victimes, et même si vous les appréciez beaucoup, vous savez que, peut-être la page suivante, ils seront morts. Certaines personnes disent que la fiction est là pour nous divertir. Je pense que les bons livres sont surtout là pour nous faire ressentir des émotions, pour que nous nous sentions dérangés, passionnés, troublés. Il arrive que vous puissiez tomber fou amoureux d’un personnage. C’est ce que peut susciter un très bon livre. Et je pense que ces excellents livres commencent avec d’excellents personnages et de très bons dialogues. L’autre chose importante dans le polar en particulier est que souvent l’on demande aux lecteurs d’accepter des situations peu crédibles ou vraiment anormales. Que ce soit un braquage de banque ou un kidnapping, on ne voit pas ça tous les jours. Et si le lecteur croit suffisamment aux personnages, alors cela suffit à les faire croire au reste, à créer une suspension de crédulité.
On fait souvent la distinction entre vos polars urbains et ceux se déroulant dans un milieu plus rural. Pensez-vous que le cadre de vos romans ait une influence sur l’intrigue ?
Absolument. J’ai écrit trois types de livres. Le premier est le drame psychologique rural, en général du sud et contient des œuvres telles que Seul le Silence, Mauvaise Étoile et peut-être un peu Papillon de Nuit. Ensuite les grandes fresques épiques comme Vendetta ou Les Anonymes. Et enfin les polars plus traditionnels comme Les Anges de New York. Les Neuf Cercle pourraient rentrer dans cette catégorie mais également dans la première. Quand j’ai commencé à écrire, j’avais une idée très simple : je voulais écrire l’histoire d’un garçon victime d’un trauma dans sa vie, et ça l’obsédait tellement qu’il passait le reste de son existence à découvrir la vérité. C’est la première histoire que j’ai voulu écrire et c’est devenu Seul le Silence. Puis j’ai déterminé dans quelle région des États-Unis je voulais que le scénario se déroule. Et j’ai choisi la Géorgie, car c’est le sud sans être dans une région redneck totalement folle, comme l’Alabama ou le Texas. Puis j’ai choisi l’époque durant laquelle tout cela devait se dérouler. Et j’ai choisi les années 30 ou 40, car je ne voulais pas que la technologie intervienne dans l’intrigue. Et que ce soit une période durant laquelle les gens pouvaient juste disparaître, comme dans Mauvaise Étoile. C’est comme un âge perdu où les enquêteurs ne pouvaient se fier qu’à leur habileté à mener un interrogatoire ou à leur intuition. Et quand j’ai eu fini d’écrire ce livre, j’ai eu envie d’enchaîner sur Les Anonymes. Autant le premier racontait de petites vies dans de petites villes, autant Les Anonymes couvre pas loin de 50 années sur trois pays. J’ai commencé un nouveau livre à propos de deux familles, une irlandaise et une italienne. Elles se rencontrent aux États-Unis et s’impliquent dans le crime organisé et la corruption à Hollywood. L’histoire devrait couvrir les années 30, 40, 50 et 60. Cela devrait s’étendre sur une trilogie et raconter l’histoire de trois ou quatre générations de deux familles qui vont alternativement s’affronter ou travailler ensemble. De grandes figures de l’histoire américaine figureront dans le livre.
papillon-nuit-r-j-elloryPourriez-vous nous parler un peu de Papillon de Nuit ?
C’est l’histoire de deux jeunes garçons, Nathan Vernet, noir et Daniel Ford, blanc, qui deviennent amis en 1954. Ils grandissent ensemble dans une petite ville de Caroline du Sud, où leur amitié est mal perçue. Ils sont tous les deux appelés sous les drapeaux pour la guerre du Vietnam. Ces deux personnages décident alors de s’enfuir pour la Floride. Ils rencontrent une jeune demoiselle, fille d’un politicien, avec laquelle ils sympathisent. Nathan finit par se faire tuer et son ami est condamné à mort pour ce meurtre. Le livre commence 36 jours avant son exécution. Il reçoit deux heures par jour la visite d’un prêtre catholique pour discuter avec lui et le préparer à sa mort imminente. On apprend alors par flash-back tout ce qui est arrivé dans la vie de Daniel et ce qui l’a mené dans le couloir de la mort. On aborde le Ku Klux Klan, Nixon, le Watergate, la mort de Marilyn Monroe, Kennedy, la peine de mort, le système judiciaire, le racisme, les préjugés. On parle de tout le milieu culturel des années 60 comme Janis Joplin, Hendrix et le mouvement hippie. Ce qui s’est passé dans cette période aux États-Unis a tellement influencé le monde. C’est un portrait de l’Amérique de 1952 à 1986 du point de vue d’un homme qui a traversé cette période, qui était aux funérailles de Martin Luther King à Atlanta. Avec en point de mire la question de sa culpabilité éventuelle. Et s’il ne l’est pas, pourquoi ne s’est-il pas rebellé contre sa condamnation ? Ce livre dépeint beaucoup de bons côtés des Etats-Unis, mais aussi leur côté fou. J’y dépeins, alors que je n’avais pas écrit pendant huit ans, ma perception de ce pays durant l’une des périodes politique et culturelle les plus importantes de l’histoire contemporaine américaine, et peut-être même du monde. L’Amérique a laissé une trace partout, et souvent pour de mauvaises raisons.
Que pensez-vous du fait que l’ordre de parution de vos romans soit différent selon les pays ?
Aucune importance ! Ce sont tous des romans différents. Ils seront tous disponibles en français. Je pense que c’est intéressant que les Français découvrent Papillon de Nuit qui sera mon septième livre à paraître en français. Mon éditrice me disait qu’il est un peu différent au niveau du style. Si je devais l’écrire maintenant, ce serait un livre différent, car en tant qu’être humain je suis différent. Une des choses les plus intéressantes que j’ai découverte en travaillant sur le scénario de Seul le Silence, c’est que mes livres sont basés sur les pensées des gens, et que les films sont basés sur leurs actions et leurs paroles, à moins d’avoir un narrateur, ce qui n’est pas très courant. Quand on adapte un livre en scénario, on doit perdre de la substance initiale pour en créer de la nouvelle artificiellement afin d’expliquer ce qui se passe dans la tête des gens dans le livre. Ça m’a appris à être plus succinct et plus précis. On ne retrouve pas ça dans Papillon de Nuit. Ce n’est ni meilleur ni pire, c’est autre chose. Je pense que ce livre, le 23ème que j’ai écrit, le premier à être publié, a été le premier écrit avec mon cœur et pas avec ma tête. Avant j’essayais d’être plus complexe, de plus en dire. Sur celui-ci j’ai écrit une histoire très simple en essayant de faire en sorte que les gens, en finissant le livre, disent juste : « Wahow ! » et qu’ils se soient sentis comme les personnages durant leur périple.
Une dernière question. Dans nombre de vos livres, les pères des héros ont une influence désastreuse : ils sont des meurtriers, ils sont alcooliques, ils sont corrompus. Pourquoi ?
Peut-être parce que je n’en ai jamais eu. Mon père est parti avant ma naissance. J’ai découvert son nom il y a deux ans et je n’ai jamais essayé de le contacter. S’il avait été là quand j’ai grandi, je n’aurais jamais été capable de créer des pères aussi démoniaques, car j’aurais toujours pensé au mien. Comme je n’en ai pas, je peux donc leur donner l’identité que je veux. Ma mère étant morte quand j’avais sept ans, j’ignore le concept de famille. Et c’est la même chose pour ma femme. Elle était à l’orphelinat depuis ses quatre ans. Et nous sommes devenus des parents très cool, sans doute parce que nous n’avions pas de mauvais exemples à suivre. Les gens sont en général stupéfaits que j’ai autorisé mon fils à se lancer dans le métier d’acteur plutôt que de continuer ses études d’informatique ! Ma grand-mère m’a dit un jour que « et si ? » devait être la première question de ma vie, en aucun cas la dernière.

Entretien accordé le 28 mars 2015.

Interview de Fabrice POINTEAU

Ce nom ne vous dit sans doute rien, comme celui de nombre de ses confrères, mais il est celui grâce à qui les Français qui ne maîtrisent pas la langue de Shakespeare, ou en tout cas pas au point de se lancer dans la lecture d’un livre entier, ont pu découvrir RJ Ellory. Paroles de traducteur :

Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Pas grand-chose à dire. J’ai été brièvement prof d’anglais, j’ai fait le DESS de traduction de Charles V (Paris 7). Je suis fan de musique et dépense beaucoup trop d’argent en vieux 45 tours.

Pouvez-vous nous parler plus en détail du rôle du traducteur ?
De grands penseurs se sont penchés sur la question, je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus. Il s’agit juste à mon avis de trouver le bon équilibre entre trahison et fidélité, de privilégier la lisibilité quitte à prendre quelques libertés, sans toutefois chercher à se faire plaisir. Mais, naturellement, ça dépend du type d’ouvrage. La tactique peut varier. Les enjeux d’un polar ne seront pas forcément les mêmes que ceux d’un roman plus « littéraire ». Ellory lui-même ne tient pas à ce que je sois trop fidèle tant que je reste dans l’idée de ce qu’il a voulu dire, il me laisse donc une grande liberté, sans doute parce qu’il me fait confiance.

Que pensez-vous de RJ Ellory ? Avez-vous eu l’occasion de le rencontrer ou de converser avec lui ?
Personnellement ? Un type sympa. Ses livres ? Difficile pour moi de juger. Je les connais de beaucoup trop près. Oui, nous avons discuté à plusieurs reprises, de choses diverses, mais relativement peu de ses livres, beaucoup plus de musique, je crois. Je n’hésite cependant pas à faire appel à lui quand le texte pose problème.

Aimez-vous travailler sur son œuvre ? Y trouvez-vous des particularités ?
Est-ce que j’aime ? Bonne question. Après 5 ou 6 livres, mon approche n’est plus la même. Je commence à le connaître par cœur, je connais ses tournures, ses manies, je sais quasiment ce qu’il va dire à la phrase suivante. Dans un sens, ça simplifie le travail, mais dans un autre, j’ai perdu une part du mystère. Je ne suis de toute manière pas sûr que traduire soit une activité « agréable ». Le plaisir, pour moi, est dans le résultat, éventuellement dans la réception, pas dans l’acte lui-même.

Parlez-nous de vos autres travaux.
Pas grand-chose à dire. J’aime traduire de tout, de l’anglais, de l’américain, de l’australien, du polar, du roman historique, etc. L’essentiel, pour moi, est le changement, sinon, je me lasse.

Quel est le livre sur lequel vous avez pris le plus de plaisir à travailler ?
Difficile à dire. Peut-être sur le deuxième tome de la trilogie d’Hilary Mantel sur Cromwell, un livre que je n’aurais jamais lu par moi-même. Le premier tome m’avait posé problème, je m’arrachais un peu les cheveux, et pendant le second, quelque chose s’est décoincé, comme ça, paf. Et pour le coup, c’était agréable.

J’aimerais adresser quelques remerciements à l’issue de ce dossier:
– à RJ Ellory lui-même pour sa simplicité, sa gentillesse et sa disponibilité, malgré les circonstances;
– aux Editions Sonatine pour leur aide précieuse;
– à Fabrice Pointeau pour sa gentillesse et sa réactivité;
– à Steeven, chasseur et dresseur d’images ô combien méritant, qui sut être ponctuel le jour où j’en avais vraiment besoin!

Jérémy

À propos Jérémy

Chronique/Co-Fondateur

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Un commentaire

  1. Roger !!! 😀 Très bonne interview merci 🙂

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