Jules, Charles et Paul sont trois dandys des temps modernes autour desquelles gravitent ce Roman de Baudelaire. Étranges albatros équipés de leurs cannes renfermant des lames aiguisées à la Orange Mécanique, ils parcourent un Paris dystopique que se partage trois familles ancestrales, gardiennes d’une nouvelle féodalité favorisée par “le retour des investisseurs privés massifs dans les dépenses publiques” : les Byron, les Dulac et les Arcadet. Et les autres : un Prince-Président, un “clergé moderne de politiciens” et le peuple “présent partout”, vrai détenteur de la République ou masse zombie qui ère dans les rames de métro, rongée par les ténèbres d’un Paris malsain, au ciel écrasant, aux souterrains suffocants, à l’angoisse rampante.
Non loin, le bourdonnement gourd et spongieux de l’eau qui va et vient dans l’immense pipeline aqueux rappelle qu’un jour prophète ouvrit la mer et qu’un autre jour, le député-maire Baltar installa un vaste diffuseur d’eau pour noyer ses ouailles. Un brumisateur géant qui court comme un intestin pourri recouvert de champignons filandreux dans tous les arrondissements de Paris. (…) Grâce à ce dirigeant, qui va certainement obtenir un troisième mandat de branlette dorée, le sens même de la dystopie peut aller se rhabiller.
Charles Byron entreprend de retrouver, accompagné de Jules et de Paul, Malika son ancienne petite amie disparue depuis plusieurs jours et détenue, selon ses pistes, par l’une des deux autres maisons et sous la coupe d’une véritable brute. Pour cela, il faut déjouer le couvre-feu mis en place par le Tripacte qui permet de maintenir un semblant d’harmonie dans ces vases clos : de 2h à 10h, la pègre indépendante, de 10h à 18h la masse zombie et la maison Byron et de 18h à 2h, les Dulac. Leur quête va les mener à arpenter différents lieux qui composent la capitale divisée de l’appartement d’un artiste peintre au dernier étage d’un immeuble à la recherche du vent qui se lève aux rames de métro où règnent les ténèbres qui rongent en passant par la Défense et les sous-sols lugubres de l’antichambre d’un hôtel particulier de Courbevoie.
On désigne toujours son ennemi, ce n’est pas lui qui se déclare? Les intérêts antagonistes n’existent pas dans la société, ils se découvrent lorsqu’ils sont décidés, organisés comme tels. La nature humaine n’a pas d’échelle de valeur objective : les enjeux sont déterminés par leurs intentions.
Les voix se superposent dans ce Roman de Baudelaire comme “une partition infinie de mondes”. Ainsi, le lecteur ne peut se reposer sur aucun personnage, ne s’identifier à rien d’autre qu’à ses propres valeurs ou les oublier un temps pour jouir de propositions de mondes différents mais se trouve toujours renvoyé à lui-même. Le rythme du récit s’en trouve équilibré entre les accélérations de l’action, les échanges philosophiques, les pensées internes des trois personnages, la voix de l’auteur et les tableaux baroques.
A contempler, la fille est effectivement belle, peut-être empruntée, mais toute faite d’un matériau d’éther et de gaz rares, et rejoint la catégorie des poissons rouges. Sitôt qu’on a détourné le regard de ses propres fantasmes ancestraux, tout éternel féminin dont elle est faite se dissipe et se disperse, comme un songe d’être vivant. Une main dans ses longs cheveux blond cendré, les mèches de droite ramenées sur le côté gauche de son crâne, la bouche froncée dans la pulpe, les yeux hautains, elle lit. Que lit-elle ? Le pamphlet de Nietzsche.
Pierre-Adrien Marciset parvient dans ce premier roman à créer un univers unique où la littérature romantique du XIXème siècle fait écho aux univers dystopiques des XX et XXIème siècle (Orange Mécanique, Gotham City, Game Of Thrones, Sin City… ). Le roman de Baudelaire présente des personnages en quête de sens, de sensations ou recentrés autour de leur “orbite nombricale”, échappatoires ou captures d’un réel qui se dérobe… Un monde où l’autre est et doit rester une fiction pour l’autre.
Sonia
Le roman de Baudelaire, Pierre-Adrien Marciset, 5 sens éditions, 2015, 136 p.
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