Le mois de Mai aura été riche en émotions du côté des Editions Ankama avec la parution en simultanée de l’intégrale de l’oeuvre quasi-biblique de Run, Mutafukaz, ainsi que de son adaptation au cinéma! Et cet événement n’est pas des moindres car c’est avec cette série que le percutant Label 619 à été fondé, alimenté depuis par de petites pépites underground triées sur le volet.
Tout débute avec Angelino, jeune désœuvré qui erre dans les rues de Dark Meat city, entre son appartement sordide rempli de cafards domestiqués qu’il loue avec son meilleur pote Vinz, et les petits boulots ennuyeux qui s’enchaînent à la pelle. Alors qu’il commence tout juste en tant que livreur de pizzas, lancé sur son scooter, il croise le regard d’une jeune fille: coup de foudre, tête qui tourne, collision avec un camion, hôpital.
C’est avec un gros mal de tête agrémenté d’hallucinations (il voit des ombres diaboliques sur certains passants) qu’il rentre, nourri son armée de cafards sous les maugréations de Vinz et se cale tranquille devant un match de luchadorest où le mythique Diablo (Puta Madre) affronte les autres stars du ring lors de l’immanquable Lucha Ultima.
Mais en quelques secondes, tout bascule lorsqu’une armée d’hommes masqués débarquent sans prévenir dans l’appartement miteux, bien résolus à réduire les deux amis en charpie… Autre WTF, voilà qu’Angelino se sent envahir par une force incroyable, commence à faire des figures dignes d’un ninja fou, s’empare des armes des attaquants, les retournent contre eux est file fissa en courant à la vertical sur le mur de son immeuble. Normal.
S’engage alors une chasse à l’homme: le garçon à la tête comme une boule de billard et son BFF fils caché de Ghost Rider à travers les Etats-Unis sont activement recherchés pour cause d’attentat et de terrorisme: la spirale infernale de l’aventure Mutafukaz est lancée! Pourquoi l’Etat lance cet avis de recherche sur eux alors que le plus grand crime qu’ils n’aient jamais commis c’est de payer leur loyer en retard? Quel est ce mystérieux pouvoir qui habite Angelino dés qu’il est en danger ou un poil trop tendu? Et qui sont ces mecs énervés qui tentent de les tuer, qui arpentent les quartiers chauds en semant le désordre et la mort derrière eux? Quand est-ce qu’il va revoir la fille aussi jolie que dangereuse qui lui a littéralement fait vriller le cerveau?
Run rassemble des ingrédients épicés et survoltés pour créer le cocktail explosif de Mutafukaz: émeutes civiles, coups d’Etat, guerre des gangs, manipulation des masses sous fond de réchauffement climatique et d’attentat sois-disant terroristes, agrémentés d’extra-terrestres envahisseurs à la manière de la Guerre des Mondes, le tout avec une pointe de luchadores à la mission divine: et BOUM. S’inspirant de faits actuels, de la violence des quartiers défavorisés, de la perfidie du système politique et de la faiblesse vile des hommes, l’auteur réalise un véritable blockbuster bédésque, aussi précis que démentiel.
A la manière du personnage principal qui ne sait plus à quoi se fier, où se situe le réel, la folie ou l’imaginaire, il emmène le lecteur dans un dédale de références Pop-Culture, philosophiques, religieuses qui s’entremêlent en repoussant les barrières du concret et de l’acquis. En piochant dans différents styles il peut se venter d’avoir créer une série unique en son genre, aux lignes narrative et stylistique si particulières qui font encore le succès du Label 619. Couleurs, noir et blanc, influences baroques et comics, les possibilités exploitées par Run semblent infinies et on sent qu’il prend un réel plaisir, qu’il se donne à fond à travers ces planches. Le fourmillement de détails qu’il place aussi bien dans les décors (repris dans The Grocery) que dans les gueules même des ses personnages fait de Mutafukaz une bande-dessinée qu’il faut savourer pour en comprendre tous les tenants et les aboutissants. Les différentes strates s’enclenchent sans à-coups, témoignant du talent narratif de l’auteur.
Ne démordant par d’un humour tour à tour grinçant et bon enfant, il s’inspire autant de la brutalité primitive de l’homme que de sa force à surpasser ses pulsions premières pour faire le bien. A travers Vinz et Angelino, il met en scène un duo de losers au grand coeur qui ne laisse pas de marbre, évoluant dans un monde en proie à une folie pas si loin de notre monde contemporain.
Haletant, spasmodique, Mutafukaz est tout bonnement incontournable pour les fans du genre Pulp, des contes modernes percutants et surtout du Label 619. A lire ou à redécouvrir sans modération.
Editions Ankama
Label 619
590 pages
Caroline