Soif de grandeur, rêve américain gargantuesque, dollars et Cadillacs; autant d’idées qui viennent à l’esprit à la simple prononciation du nom Etats-Unis. Illégalités sociales, racisme, violences armées; autant d’autres termes venant tristement compléter le tableau de ce Nouveau Monde, analogies phares mises en relief par le scénario brute et lucide de Run et le trait vibrant et nerveux de Neyef dans Puta Madre, spin-off de la célèbre série Mutafukaz du label 619 des Editions Ankama.
Tout commence par une adaptation tirée d’un fait terriblement réel, celui de Cristian Fernandez qui a écopé de 12 ans de prison pour le meurtre de son petit frère, jugé tel un adulte par un système juridique qui n’hésite pas à employer la perpétuité pour les enfants. Ici, c’est la vie de Jesus que l’on suit, sa jeunesse dans un coin paumé et oublié des honnêtes gens: Niland au sud de la Californie. Il grandi avec sa mère, aussi perdue et errante que la ville où ils se trouvent, et son petit frère Pico. Vient s’ajouter au tableau Spooky, l’ami imaginaire du héros, enfant fantomatique et inquiétant à face de citrouille qui lui chuchote des pensées sombres et brutales. Encore heureux que malgré son quotidien à la dérive, Jesus garde la tête froide et ne cède pas à ces impulsions hantées.
Un jour, Pico est trouvé mort, victime de nombreux coups répétés. Commence alors la descente aux enfers de son grand frère, qui sera emprisonné pour les 7 prochaines années de sa vie dans un pénitencier pour adultes. Alors que les visites de sa mère s’espacent pour finalement se stopper, les liens entre le jeune adolescent et les Carnales, gang de la camarilla interne hispanique, s’intensifient.
A travers les yeux de Jesus, Run et Neyef décrivent avec application le milieu carcéral et son écosystème régit par les plus forts et les plus unis; fraternité du trèfle, mafia mexicaine, fraternité aryenne, voici les groupes majeurs se formant en marge du système et du bien pensant, créant à leur tour une société à l’équilibre fragile et aux lois intransigeantes et fatales.
Faute d’autre modèle, les Carnales feront office de famille au jeune garçon, le protégeront et lui feront une éducation basée sur l’allégeance, la solidité du groupe et la loi du Talion.
A sa sortie, Jesus sait qu’il sera toujours à l’écart de la civilisation pavillonnaire et du quotidien costard-cravate. Il rencontre des gens bons comme Pete, vétéran de la Guerre qui lui apprendra à profiter de l’instant éphémère et des petits cadeaux de la vie, mais surtout des sales types de l’acabit de Barbie, faux et perfides sous leurs airs de mecs loyal.
Au milieu carcéral s’ajoute le gang de motards Hermanos où Jesus sera prospect un certain temps, pour finalement rejoindre la Lucha Libre sous le masque d’El Diablo. Son parcours est marqué par les coups reçus et donnés, l’injustice impartiale et l’abandon… Mais pourtant, il restera fidèle à ses principes et loyal à ses convictions, cherchant à s’en sortir du mieux qu’il peut et ne cherchant jamais à faire de mal volontairement.
Cette aventure humaine nous plonge dans la poussière et le sang et fait remonter la primitivité de l’Homme qui survit. A travers Jesus, Run et Neyef décrivent le désenchantement du rêve américain, nous immergent dans le quotidien d’une Amérique dure, dans celui de personnages au grand sens moral malgré l’état hors-circuit dans lequel ils sont plongés. Rebuts de société de par leurs origines, leurs erreurs ou par un manque de chance malheureux d’être né au mauvais endroit et de se trouver là au mauvais moment, les protagonistes de Puta Madre sont vivants et marquants, vibrants de réalisme et de soif de vivre.
Run et Neyef s’inspirent de culture Z et de culture pop latino et ponctuent cet intégrale des 6 tomes de Puta Madre par des fiches informatives approfondissant les sujets abordés; décryptage des significations des tatouages d’un taulard de la fraternité du trèfle ou des patchs brodés sur le blouson d’un motard, en passant par l’explication du système juridique américain, autant d’explication qui apportent encore plus de profondeur à cette histoire testostéronée toute contemporaine.
Puta Madre se dévore d’une traite, tant le scénario est bien ficelé et bondissant et le dessin hyperactif et énervé. Une intégrale à lire et à relire, qui donne la rage au ventre.
Ankama Editions
Label 619
200 pages
Caroline